Ca descend dans les boyaux comme la rosée du matin sur les feuilles
Il n’est jamais trop tard pour découvrir un classique. Récemment, Al s’est aperçu que je n’avais jamais vu « La soupe aux choux ». Il s’est donc empressé de pallier ce manque, d’autant qu’il a constaté au passage qu’il y avait fort peu de critiques de ce film sur Sens Critique, et que la plupart étaient fort négatives. A charge, donc, pour moi, de le défendre, si tant est que je trouve qu’il le mérite. J’ai trouvé qu’il le méritait, donc, me voici prête à m’atteler à ma mission.
Première remarque à faire : Ce n’est pas un Louis de Funès. Il y a Louis de Funès dedans, mais il ne joue pas le rôle de Louis de Funès. Si vous cherchez une bonne comédie franchouillarde avec un Louis de Funès hystérique qui fait plein de grimaces et des gags tarte à la crème, passez votre chemin, il n’y en aura pas ici. A la place, vous aurez un conte philosophique, poétique et contemplatif… Et des gags à base de pets. Accessoirement. L’ingrédient principal du film, c’est surtout ses dialogues. Des dialogues drôles et sincères, attendrissants, amusants, et entièrement écrits en vieux françois. Enfin, un vieux françois de fiction. On y mélange toutes sortes de patois, toutes sortes d’expressions vieillottes. Ce langage campagnard renforce le côté attachant des personnages, mais le fond du dialogue est excellent. Qu’il s’agisse de philosophie de comptoir, de poésie épicurienne ou de joute d’esprit, ils sont toujours au top de ce qu’ils peuvent être, et ils ont à vous offrir tout ce qu’un film avec de bons dialogues peut vous offrir.
On me l’avait résumé comme suit : C’est un vieux paysan qui voit un extraterrestre atterrir dans son jardin. Il lui fait goûter sa soupe aux choux, l’extraterrestre en ramène dans sa planète, et la soupe aux choux y connaît un grand succès.
Je me demandais bien quelles pouvaient être les circonstances qui pouvaient amener un vieux paysan faisant la toute première rencontre de l’Histoire avec une créature pensante d’une autre planète à lui faire goûter de la soupe aux choux. Il n’y en a pas. C’est tout bêtement son premier réflexe. Il faut dire que notre héros, Louis de Funès, donc, est un homme simple, qui aime la vie, la bonne chère et le bon vin, la chaleur humaine, la danse et la nature. Une soucoupe volante dans son champ ? Bah, après tout, pourquoi pas, on voit tant de choses dans le monde. A quoi bon convoquer la presse ou appeler le président de la république. Notre Glaude, c’est son nom, réagit comme il réagirait face à n’importe quel visiteur impromptu : il offre à boire et à manger. Si sa soupe au choux rencontre un vrai succès interplanétaire, c’est pas tant parce qu’elle est bonne (quoiqu’effectivement, la soupe au choux, c’est délicieux, surtout celle qu’on fait dans ma région, on y ajoute du magret de canard et tous les légumes de la saison, on fait mijoter la journée entière, et on y verse un verre de vin du pays, c’est juste divin. Quoique je me souviens d’un refuge, en montagne, où le patron avait malencontreusement fait tomber toute la poivrière dans la soupière, ça restait bon, mais qu’est-ce que c’était fort ! Hein ? Vous n’en avez rien à foutre de mes souvenirs de montagne et vous voulez que je vous parle du film ? Désolée, je me suis égarée) ce n’est pas tant qu’elle est bonne, donc, c’est surtout qu’elle est faite avec le cœur. Oui, c’est tout aussi simple.
En fait, tous les thèmes du film sont très simples. L’amitié, la nature, les vieilles traditions menacées par l’expansion économique, l’amour de la vie, la peur de la mort, la meilleure manière de gérer les deux… Mais joliment et humblement traité, et en se prenant suffisamment peu au sérieux pour oser de grands bons moments de délire. (Moi, quand le maire menace Louis de Funès et son pote de se retrouver enfermés dans une cage avec des gens qui leur jettent des cacahuètes, je pensais qu’il disait ça métaphoriquement, moi, si, si !)
Je n’ai qu’un seul reproche à faire au film. La Francine. Oh, bien sûr, elle donne une mauvaise image des femmes, mais ce n’est pas le principal problème. Non, ce n’est juste pas esthétique. Louis de Funès manifeste pendant la moitié du film à quel point il a été heureux de son histoire avec elle, montrant par là que ça fait partie des plaisirs qu’il faut s’accorder dans cette vie si courte, vivre avec quelqu’un, l’aimer. C’est cohérent avec le propos général du film qui est de rappeler à tout va pourquoi la vie vaut la peine d’être vécue. Et puis la Francine revient, et elle est totalement odieuse. Cela va-t-il amener Louis de Funès à changer d’avis sur le bien-être que procure le mariage ? Non. Va-t-elle être punie d’être si odieuse, et prouver par là que les méchants sont punis et les bons récompensés ? Non. Elle passe, juste, elle détruit la bonne image que Louis de Funès gardait de leur mariage, puis s’en va pour vivre une vie très heureuse ailleurs en récompense d’avoir été aussi odieuse. En toute logique, ce genre d’événement devrait servir à faire douter Louis de Funès de sa philosophie de vie, et du bien fondé de son attitude positive. Mais non. Parce que Louis de Funès a accepté le malheur comme étant le prix du bonheur bien longtemps avant le début du film. En gros, toute cette sous-intrigue avec la Francine ne sert à rien. A part à donner une fort mauvaise image des femmes, mais même ça, il n’est pas explicitement souligné que c’était le but. Heureusement, ce passage inutile ne gâche pas l’expérience du reste du film.
Bref, un film qui mérite un peu plus d’amour. C’est sûr que ce n’est pas un Louis de Funès, mais c’est quand même quelque chose qui vaut la peine qu’on en profite.