Quand la fiction fait documentaire
En donnant la voix au texte de Svetlana Aleksievitch, Pol Cruchten choisit de faire appel tant à des habitants qu'à des comédiens aguerris comme Dinara Drukarova. Cette mise en miroir continue le...
le 2 juil. 2019
Si le réalisateur nous émeut et force l'intérêt par son exercice où l'indicible côtoie la beauté des plans, reste un sentiment d'inachevé tant dans son parti pris d'axer son récit sur un personnage récurrent et dans ses témoignages restreints, que dans ses thèmes survolés notamment l'écologie et le politique, l'un et l'autre s'insérant pourtant dans les enjeux et les conséquences.
On peut regretter alors que seul un petit nombre d'intervenants soient choisis pour mettre en lumière un sujet aux multiples ramifications tant morales que sociales. Ce qui donne un sentiment curieux de n'avoir que peu de témoins à citer, qu'un seul portrait ou presque, mis en avant pour mettre en scène sur la durée, le thème de l'amour et du deuil et ceux qui auront vu la série Chernobyl de Graig Mazin et verront ce docu-fiction retrouveront le personnage joué par Jessie Buckley. L'actrice Dinara Drukarova parvient avec force à rendre l'émotion et la douleur et les textes s'impriment dans les jeux d'expressions. L'impossible deuil, les tourments de l'esprit, les fantômes du passé et la perte d'être chers renvoient au souvenir heureux et fantasmé. Mais je reste étonnée que cette victime devienne presque une star de l'écran. N'y a-t-il pas d'autres témoignages, d'autres écrits, d'autres témoins même ? D'autres grandes histoires d'amour oubliées ?
Tout est affaire de souffrance, de solitude et de l'inévitable silence, où les voix off servent des acteurs mutiques. Les corps souvent immobiles, les regards lointains. Les textes du passé s'insèrent alors dans des images au présent venant conforter la volonté de placer la catastrophe dans la réalité d'aujourd'hui. Le sensationnel ou les images chocs sont remplacés par des textes difficiles que le réalisateur adoucit dans une recherche esthétique et poétique. De longs plans fixes, d'arrêts sur image, tels des tableaux de maître, le cinéaste nous emmène in situ, traversant les paysages industriels dévastés, pour une sorte d'errance à travers les habitations abandonnées, les forêts où la vie reprend ses droits, usant de multiples métaphores par ces longs couloirs lumineux tout à la fois synonymes de perte ou de reconstruction à venir, d'appartements où le temps s'est arrêté, ou encore de cette table mise et fleurie où personne ne s'assoit plus, et où ceux qui restent s'interrogent sur leur survie.
Emaillant son récit de quelques données plus concrètes, avec les naissances après 1986 et les maladies à venir, les quotas de radiation, le pouvoir au détriment de l'humain, c'est bien la vie quotidienne en dehors de tout aspect purement scientifique qui est pointée.
Par l'adaptation de l'ouvrage de Svetlana Alexievitch, qui en passant, a bien du mal à se faire entendre, se voit menacée et où ses travaux en Biélorussie sont passés sous silence, Pol Cruchten pointe les retombées psychologiques des survivants de Tchernobyl. Par une mise en scène métaphysique, le cinéaste luxembourgeois à défaut de choisir sa direction, retranscrit à merveille ce qui fait le charme du cinéma russe.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs documentaires
Créée
le 9 juin 2019
Critique lue 220 fois
7 j'aime
15 commentaires
D'autres avis sur La Supplication
En donnant la voix au texte de Svetlana Aleksievitch, Pol Cruchten choisit de faire appel tant à des habitants qu'à des comédiens aguerris comme Dinara Drukarova. Cette mise en miroir continue le...
le 2 juil. 2019
Un film adapté d'un essai de Svetlana Alexievitch avec des images d'une grande beauté picturale digne de tableaux de maîtres mais aussi avec un texte complètement en voix-off absolument terrifiant...
Par
le 7 juil. 2018
Pol Cruchten met en images les témoignages authentiques recueillis après la catastrophe de Tchernobyl par Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature 2015. La mise en images (prises de vue...
le 13 avr. 2018
Du même critique
Un grand film d'aventure plutôt qu'une étude de la civilisation Maya, Apocalypto traite de l’apocalypse, la fin du monde, celui des Mayas, en l'occurrence. Mel Gibson maîtrise sa mise en scène, le...
Par
le 14 nov. 2016
76 j'aime
21
On se questionne tous sur la meilleure façon de vivre en prenant conscience des travers de la société. et de ce qu'elle a de fallacieux par une normalisation des comportements. C'est sur ce thème que...
Par
le 17 oct. 2016
60 j'aime
10
The Green Knight c'est déjà pour Dev Patel l'occasion de prouver son talent pour un rôle tout en nuance à nous faire ressentir ses états d'âmes et ses doutes quant à sa destinée, ne sachant pas très...
Par
le 22 août 2021
59 j'aime
2