Le cynikaliste
Trop souvent la labellisation "Histoire vraie" ramollit les auteurs trempant dans le jus du "ça s'est passé ainsi, ils n'ont qu'à me croire". Une posture moquée par les frères Coen dans leur Fargo...
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le 5 mars 2023
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Trop souvent la labellisation "Histoire vraie" ramollit les auteurs trempant dans le jus du "ça s'est passé ainsi, ils n'ont qu'à me croire". Une posture moquée par les frères Coen dans leur Fargo qui s'ouvre sur un carton "This is a true story" et se clôt par un générique affirmant l'inverse. Mais relions cette digression coenienne au film qui nous intéresse aujourd'hui : La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé.
Il va nous narrer l'histoire vraie (rappelons-le) de Maureen Kearney, syndicaliste chez Areva. Remontée contre des machinations avec la Chine mettant en péril plus de 50'000 emplois en France, elle en paiera le prix cher puisqu'elle sera retrouvée, chez elle, ligotée et violée. Et l'histoire ne s'arrêtera pas là puisque les enquêteurs remettront bien longtemps en cause son réel statut de victime.
Ce dernier représente l'archétype du réalisateur se cachant derrière son gros panneau "Faits réels" pour nous abrutir de son ahurissante apathie: rien n'est amené dans son film. Rien n'est crédible. Aucun personnage n'a une caractérisation qui tient la route. Les changements d'opinion, soudains, ainsi que les revirement de situation, n'ont pas le moindre sens. Ils sont posés là, et au spectateur de l'accepter puisque, je le rappelle, il s'agit d'une histoire vraie.
Une histoire vraie.
VRAIE !
Les différentes figures déployées par Salomé ont donc la consistance d'un pudding anglais et l'épaisseur d'une page de papier. Et dur de se débrouiller avec ça, à en voir le jeu des acteurs issu pourtant d'un casting XXL. Car là en effet La Syndicaliste met le paquet: on retrouve Isabelle Huppert (déjà présente dans La Daronne du même réalisateur), mais aussi Marina Foïs, Yvan Attal, François-Xavier Demaison ou encore Grégory Gadebois,... Du sacré beau monde donc.
Mais à part ce dernier qui sort un peu du lot par son rôle de mari aimant, ils font tous de la figuration plus ou moins polie. Foïs qu'on a pu cette année apprécier dans As Bestas n'offre rien (ou presque), Yvan Attal joue la souffrance si bien qu'on se demande si ce n'est pas de jouer dans ce film qui le tourmente tant et Isabelle Huppert fait... du Isabelle Huppert. D'ailleurs il faut aisément remonter au Elle de Verhoeven pour retrouver quelque chose de l'immense jeu d'actrice qu'elle sait pourtant déployer, mais qu'elle se refuse à utiliser pour nous offrir des déclinaisons de ces ineptes parodies d'elle-même.
Mais dur à en vouloir aux acteurs de ne pas réussir à incarner des personnages si fins sur le papier. Là où La Syndicaliste devient réellement gerbant, c'est au niveau technique. L'éclairage, plat, constant, écrasant, serait celui qu'on pourrait retrouver dans une série télévisée telle que Plus belle la vie, tandis que les mouvements de caméra sont vains ou au pire ratés. Des panotages plats, des travelling haut/bas qui sautent,... On se demande si on ne serait pas, au final, devant un mauvais téléfilm qui se retrouve, par erreur, projeté sur grand écran.
Passons sur les incrustations dégueulasses, les incohérences globales, les faux-raccords indénombrables, qui prouvent le soin apporté au long-métrage. Non, décidément, La Syndicaliste deviendrait presque cynique tant il semble avoir été monté sans la moindre attention. Et là où le bât blesse, c'est qu'il portait à l'écran une histoire terrible relatant des faits de 2012 dont presque personne ne se souvient. L'histoire vraie, sa victime ainsi que tous ceux qui ont subi les conséquences des machinations magouillées par Areva, EDF et l'Etat français méritaient un film regardable qui porterait leur mémoire.
Quoi d'autre donc que vous inviter à vous pencher sur l'affaire et sur le livre éponyme écrit par Caroline Michel. Et rappelons-nous que La Nuit du 12, qui évoque également le sujet des violences faites aux femmes et le regard masculin que pose les autorités sur certaines affaires, le fait bien mieux et de manière bien plus intéressante.
Bref, passez votre chemin y a rien à voir mon bon monsieur.
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le 5 mars 2023
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