La Syndicaliste prolonge la réflexion sur la culpabilité de la femme menée par le cinéma français et international depuis peu : le procès de la femme indépendante et intelligente que l’avocat de la défense blâme parce qu’elle ne satisfait pas à ses obligations maternelles et écrit des fictions criminelles (Anatomie d’une chute, Justine Trier, 2022), suivant l’idée que le talent relève du masculin seul habilité à usurper et à user de violence (Tár, Todd Field, 2022) pour asseoir sa domination patriarcale (Mon Crime, François Ozon, 2022). Le film de Jean-Paul Salomé ne cesse d’opposer la vérité détenue par Maureen Kearney aux preuves manquantes, lui refusant ainsi le statut de victime parce qu’une enquête juge son témoignage incohérent et qu’elle semble décider, arbitrairement, de sa culpabilité. Le glissement brutal du statut de victime, véritable mais nié, à celui de coupable présente l’intérêt de ne jamais résonner dans les médias – sinon par un article interposé – et ainsi d’émaner de là-haut, de ces sphères mystérieuses mais puissantes dont la syndicaliste ne souhaite pas parler par peur d’être entendue.

Nul choc des flashs, nulle masse de journalistes avides de scoops comme en présentait Un Silence (Joachim Lafosse, 2024), plutôt un huis clos décliné en différents espaces, et que ne parvient pas même à ouvrir le paysage montagnard d’Annecy. La maison, la salle d’interrogatoire, celle de réunion, tous ces espaces sont confinés et tendent à placer Maureen Kearney en position de suspecte à interroger, en témoignent les remarques désobligeantes que lui adresse sa fille à table. Tous ses interlocuteurs, exception faite de son mari, exigent la cohérence. Il faut reproduire la séquestration, répéter des gestes dont on se souvient à peine, dupliquer une réalité aussitôt vécue aussitôt évaporée dans une mémoire et un corps traumatisés. Dès lors, le réalisateur fait le procès de la fiction et des stéréotypes qu’elle fait peser sur le statut de victime : discréditée en raison de son détachement, de sa froideur et de sa maîtrise, la syndicaliste ne correspond pas à ce que l’on attend d’elle, elle reconnaît ne pas être « une bonne victime ». C’est de sa faute si viol il y a eu, puisqu’elle ne portait pas de culotte sous ses collants – « circonstance atténuante » pour l’accusé, nous dit-on…

Aussi le film s’inscrit-il à la fois dans un élan de réhabilitation de la parole des femmes et de leur place au sein de la vie politique, et dans la filmographie d’Isabelle Huppert qui a toujours imposé un autre regard sur la féminité apte à se prendre en charge elle-même sans le truchement compatissant et réificateur de certains hommes. Dommage qu’une telle acuité de propos ne soit que peu portée par la mise en scène, efficace mais trop lisse et illustrative par moments.

Fêtons_le_cinéma
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le 16 févr. 2024

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