Histoire d’amour en milieu hostile, ce film kazakh prend le parti de la poésie pour répondre à l’adage du titre emprunté par ailleurs à l’épilogue de L’Étranger de Camus.
Face à une société violente et prête à dévorer les individus, le couple de protagoniste est une tentative de résistance par la revendication du sentiment. C’est par le regard que tout se joue : celui de l’homme, artiste à ses heures, face à la grâce incarnée en la personne de sa belle, vêtue d’une robe rouge dont l’éclat reprend celui des coquelicots et sublime leur couleur éphémère : Saltanat ne cessera jamais d’être belle, et l’amour de Kuandyk de l’accompagner. N’en déplaise à la ville, à la main des phallocrates tenanciers d’un ordre ancien, souillant l’innocence de la jeunesse : le couple va ainsi dériver vers une trajectoire à la Roméo et Juliette, voire Bonnie & Clyde, la violence devenant la seule réponse possible à la corruption de la civilisation. Alors qu’il faut commencer par faire des concessions et salir le paradis vert des amours enfantines (elle se marie à un vieil homme pour éponger les dettes de son père, il accuse un compagnon pour sauver leur peau), la réponse définitive au monde sera celle de la révolte en retournant contre lui la violence dont il est coutumier.
Le film d’Adilkhan Yerzhanov est surtout une fable, aspect souligné par un travail graphique de haute tenue qui fait de chaque séquence un tableau : surcadré, chromatiquement très élaboré, il découpe (dans les embrasures, les champs, la rue) des fragments du réel pour en prélever la beauté que ce couple semble trouver où qu’il aille : par son innocence, par son rapport à une certaine lenteur qui, souvent, transforme les personnages secondaires en spectateurs passifs en plan fixe, légèrement subjugués par leur présence.
Cette alliance de poésie, de contemplation et de lenteur dans laquelle peut surgir à tout moment une violence brusque – qui ne se départit pas, dans certaines scènes de conflit, d’un certain comique grotesque – fait souvent penser au cinéma de Takeshi Kitano. Comme s’il fallait que l’antagoniste à la beauté pure soit présent pour pouvoir en révéler toute la fragilité, le couple sera sublime parce que le monde se déchire, et son amour éternel parce qu’une fuite en avant vers l’impasse. La résistance par l’esthétique et l’attention accordée aux faibles réduits au silence rappelle aussi la singularité de Marlina la tueuse de Mouly Surya : elle donne au spectateur une position privilégiée, entre tendresse pour les protagonistes et gratitude d’avoir accès aux beautés cachées du monde, comme le révèle implicitement cet ultime échange dans une nature qui reprend ses droits, même si la robe est devenue noire : « C’était un mauvais plan », dit-il. « Mais c’était une belle journée », répond-elle, face à la tendre indifférence du monde.
(6.5/10)