Placé sous le patronage d’Albert Camus, ce nouveau film du réalisateur kazakh Adilkhan Yerzhanov est définitivement francophile. Non seulement son personnage principal est un lecteur passionné du philosophe de l’absurde, de la révolte et de l’amour, mais l'extravagance de son scénario et la pétulance de sa palette chromatique le placent dans la filiation des films les plus joyeusement absurdes de la nouvelle vague française, Pierrot le fou en tête.
Francophile dans son ton, il n'en reste pas moins kazakh dans sa matière, puisque ce sont bien les beautés arides de la steppe, dont toute la splendeur nous est restituée par une photographie lumineuse, qui inspirent à ses héros le sentiment du sublime. Ne laissant rien au hasard, le géomètre Yerzhanov soigne ses cadres qui deviennent les écrins somptueux de compositions soignées.
« Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile », affirmait Camus dans Noces après avoir décrit dans un langage à la sensualité troublante les multiples couleurs des paysages algériens. Totalement insensibles à l'attraction de l'argent ou du pouvoir, les protagonistes de La tendre indifférence du monde y préfèrent de la même façon la contemplation amoureuse de champs fleuris baignés de lumière, qui leur enseigne la double vérité de la gratuité et de l'éphémère. « S'il est vrai que toute vérité porte en elle son amertume, écrivait encore Camus, il est aussi vrai que toute négation contient une floraison de ''oui''. Et ce chant d'amour sans espoir qui naît de la contemplation peut aussi figurer la plus efficace des règles d'action. » Entraînés malgré eux dans un malheureux enchaînement de circonstances, les deux amants vont tout tenter, malgré leur connaissance de la fin tragique qui les attend. De cette bataille perdue d'avance, ils sauront tirer l'heureuse satisfaction d'avoir été des Sisyphes heureux.