La Terre outragée par Patrick Braganti
Cela peut paraitre surprenant que, un quart de siècle après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, le cinéma autre que documentaire ne se soit pas emparé de cet extraordinaire événement pour en nourrir une fiction. Mais, à y réfléchir plus en avant, l'idée pour tentante qu'elle soit n'est sans doute pas si évidente en terme de transposition à l'écran. En effet, hormis mettre en scène l'explosion d'un réacteur ou d'une centrale – ce dont s'accommode fort bien le cinéma d'anticipation friand d'effets spéciaux et de cataclysmes en tous genres – ou filmer quelques monstres et mutants – intention qu'on laissera pour le coup aux productions fantastiques et d'horreur – les conséquences d'un accident nucléaire ne sont guère visibles à l'œil nu. Autrement dit, il n'est pas aisé de mettre en images une atmosphère saturée de radiations.
C'est pourquoi la réalisatrice Michale Boganim, israélienne d'origine, ayant suivi une formation d'anthropologue et auteur en 2005 d'un documentaire, Odessa...Odessa, consacré aux destins complexes des Juifs de la ville ukrainienne, a choisi d'articuler La Terre outragée en deux parties (la catastrophe et dix ans après) autour de quelques personnages, dont le principal est Anya. Mariée la veille du jour funeste à Piotr, qui est réquisitionné pour éteindre l'incendie à la centrale et sera mortellement irradié, Anya est depuis devenue guide. Car dorénavant la zone de la centrale et Prypiat, l'ancien fleuron du pays transformé en ville fantôme où survivent quelques réfractaires et des familles émigrées sont une sorte de parc d'attractions macabres où se pressent les touristes pour des visites quotidiennes placées sous haute surveillance.
On comprend bien que ce qui motive avant tout Michale Boganim, c'est comment on continue à vivre après un tel drame qui a abouti à l'exil forcé des habitants de la ville, si peu informés de l'accident et de ses terribles conséquences. Au travers de la trajectoire chaotique de quelques individus traumatisés, rongés par la culpabilité ou incapables de quitter les lieux qu'ils réinvestissent périodiquement, animés d'une fraternelle morbidité, la réalisatrice tente de cerner les ravages du choc nucléaire. Il faut néanmoins reconnaitre qu'elle n'y parvient pas en totalité. La première partie est convaincante car elle réussit sans aucune image spectaculaire à rendre palpable la tension et la bizarrerie qui commencent à poindre, notamment dans l'agitation inhabituelle des animaux. L'explosion a d'ailleurs engendré un dérèglement climatique voyant s'abattre sur Prypiat des pluies diluviennes qui auront pour effet néfaste de fixer la radioactivité. En revanche, le second volet pose problème quand il s'attache trop aux déboires sentimentaux de Anya et à la quête effrénée d'un adolescent sur les traces de son père, ancien ingénieur. Dès lors, le film perd de sa force et de sa singularité, renvoyant au second plan la catastrophe ou plutôt la banalisant, en lui faisant perdre sa spécificité. C'est donc davantage dans son traitement purement documentaire et informatif que le film retient l'attention, alors que paradoxalement la fiction semble l'affadir, peut-être aussi parce que les personnages ne sont pas suffisamment développés ou forts. Toujours est-il qu'un goût d'inaboutissement perdure après la projection.