Le film s'ouvre sur le Pacifique, été 1945. Plans flottants, musique expérimentale étrange, un jeune homme chétif et maladroit coincé dans un "kannen", une sorte de barque / torpille, patiente. Protégé du soleil par une simple ombrelle, "lui", comme on le nomme, attend un supposé ennemi américain pour remplir son rôle de kamikaze du haut de ses 21 ans. Il se souvient alors d'une partie de son adolescence, de son recrutement dans l'armée, d'une librairie, d'elle, une belle jeune femme qu'il aimait, et ce qui l'amena finalement ici.
C'est sans doute moins expérimental et subtil que d'autres réalisateurs de l'ATG tels que Hiroshi Teshigahara, Toshio Matsumoto, Shuji Terayama et plein d'autres, parce qu'Okamoto garde toujours une essence divertissante qui maintient ses films dans une certaine simplicité, mais je ne me lasse pas de découvrir ses pépites superbement réalisées dans un noir et blanc profond. Ce brillant réalisateur trop souvent classifié "chambara maker" a accouché de nombreuses pépites pleines d'humour grinçant et d'un ton ironique et cynique avec lequel il hurle l'absurdité de la guerre, en particulier la seconde qui l'a profondément marqué puisqu'il est un des rares de sa génération à y avoir survécu. "La torpille humaine", comme ses autres perles cyniques, est donc une belle charge grinçante contre la guerre, mais pas seulement.
D'une part, le budget d'un film produit par l'Art Theatre Guild est incomparable avec celui d'un film de la Toho, comme pour ses gros films de gangsters comme "The age of assassins". C'est d'abord un film pacifiste à petit budget typiquement 1968. D'autre part, Okamoto a ici carte blanche pour faire tout ce qu'il veut dans la grande tradition de l'ATG. "La torpille humaine" est donc un film intime et très personnel où le héros maigrelet, chahuté et dérangé interprété par le jeune Minori Terada est on ne peut plus proche de sa propre apparence et ce qu'il a vécu dans sa jeunesse. Le tout est pourtant traité avec une bonne distance et un détachement rêveur qui laisse libre court à sa poésie toute personnelle.
Fonctionnant aussi comme une auto-psychanalyse de ses propres démons, et complément de son "The Emperor and a General", le film d'Okamoto dépeint surtout la fougue et l'innocence des premières amours et de la jeunesse avec un petit budget, de beaux silences, de brillants monologues tragicomiques, de gros plans suintants autour de décors minimaux de bâtiments-débris et d'une plage prise comme un désert à traverser. L'érotisme effleuré y est magnifique et toujours suggéré plus que montré. La détermination aveugle en de grands idéaux patriotiques du jeune et fragile "lui" viendra se perdre dans ce Kannen, ultime objet absurde engendré par la croyance en la toute puissance du Japon face au monde.
Étrange, un peu long et aride comme le réalisateur sait aussi le faire, un sentiment propre à la jeunesse m'a irrémédiablement traversé et je conseille fort cette pépite nippone (au cas où ça se serait pas vu...).
Au passage, on retrouve aussi le tout jeune Yoshitaka Zushi, le train toqué de Dodeskaden.