Le passage dans les rangs de l'armée (de l'air) japonaise de Kihachi Okamoto à la fin de la Seconde Guerre mondiale n'a pas dû être de tout repos, si l'on en juge la puissance dramatique et satirique du compte-rendu, même indirect, qu'il a pu en faire dans La Torpille humaine. La guerre vue par un tout jeune soldat japonais, tout en bas de l'échelle, à qui on assigne une mission suicide contre des navires de guerre américain après avoir passé une bonne partie de son entraînement à faire semblant de manipuler des armes défaillantes et des explosifs inexistants (faute de budget, en 1945, à la veille de la défaite). C'est une image qu'on n'est pas près d'oublier. Le soldat se remémore sa vie passée, par flashback, tandis qu'il dérive au milieu du Pacifique dans son baril flottant de manière très approximative, attaché à une immense torpille qu'il a pour mission d'envoyer contre l'ennemi dès qu'il se présente. Pas de chance, il lancera son engin sans succès, le propulseur ayant un défaut il coule quelques mètres plus loin. Pire : le Japon s'est déclaré vaincu 10 jours auparavant sans qu'il ait été mis au courant.


On n'en voit pas beaucoup des bizarreries de la sorte, que ce soit chez Okamoto (en dehors de ses chanbaras, on peut relever des films de guerre beaucoup plus classiques comme La Bataille d'Okinawa) ou ailleurs, comme du côté d'Ichikawa (avec notamment le diptyque de la fin des années 50 La Harpe de Birmanie et Feux dans la plaine qui s'intéresse lui aussi aux derniers jours du même conflit mondial). Le regard prend un peu plus de distance ici, relativement, on est en 1968 et les plages bondées feront leur apparition à la toute fin, pour révéler par contraste le baril abandonné du pauvre soldat — image satirique qui n'en reste pas moins glaçante dans son imagerie macabre. On sent bien que le budget n'a pas dû être illimité pour ce projet, en témoigne les conditions de production, Okamoto ayant été contraint de quitter la Tōhō pour réaliser ce film avec l'aide de beaucoup de ses proches. Mais malgré tout le caractère un peu brinquebalant par endroits de la mise en scène, avec ses compositions minimales et ses cadrages serrés, La Torpille humaine reste un moment de poésie absurde d'une originalité touchante.


Car tout de même, il faut le préciser : loin du classicisme du cinéma japonais des grands maîtres, au-delà de la présence de Tatsuya Nakadai à la narration, c'est un film plutôt loufoque dans lequel on découvre Chishû Ryû en tenancier manchot d'un magasin auquel le protagoniste rend un sacré service (il l'aide à pisser, c'est pas rien !) en échange d'un bouquin. Il faut le voir pour le croire, je n'aurais jamais parié voir un jour la légende de la génération précédente ainsi détournée en comédie... Il y a des motifs étranges de ce genre pendant tout le film, avec par exemple un embarras saugrenu partagé par de nombreux personnages à l'idée de dévoiler leur nombril, sans jamais en expliciter la raison véritable, ou encore cet enfant qui apprend ses tables de multiplication à l'aide de grenades disposées méticuleusement devant son abri. Le tableau est assez unique dans le paysage cinématographique, japonais en particulier.


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Morrinson
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le 13 avr. 2021

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