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Rares sont les films traitant de la vie parisienne sous l’occupation nazie, particulièrement dans les années 50. Le sujet est délicat, encore frais dans la mémoire nationale, et beaucoup aimeraient qu’on s’en tienne aux croyances naïves de Hubert Bonisseur de La Bath. Mais voilà que Claude Autant-Lara vient mettre un coup de pied dans la fourmilière avec La Traversée de Paris.


Ici pas de héros, pas de vilains, seulement la palette chromatique complète de la réaction des habitants de la capitale sous la botte teutonne. Des braves, des veules, des qui s’en foutent et des qui ne cherchent qu’à s’en sortir : des gens lambda dont les traits d’avant-guerre ne sont qu’accentués par un contexte. Au milieu d’eux, Marcel Martin (Bourvil, parfait), ancien chauffeur de taxi réduit à traficoter sur le marché noir pour nourrir Mariette, et qui se retrouve avec cent kilos de cochon à bringuebaler sur huit kilomètres en pleine nuit. Il se trouve un compagnon de fortune, Grandgil (Gabin, parfait), qui s’avérera être un sacré fouteur de merde, bien qu’il soit pas méchant.


Les enjeux sont mis en place très rapidement, et le climat tout autant. Si les diatribes de nos compères sont fines et réjouissantes, et que chaque badaud ou commerçant qui fait mine de collaborer se prend une volée de bois vert(de gris) de derrière les fagots, on est pas pour autant dans une comédie. Les rappels à la réalité de la situation sont nombreux, et rudes. Monsieur-tout-le-monde et la forte tête qui l’accompagne enchaînent les situations absurdes, subies par le premier et cherchées par le second, repoussant toujours les limites de ce que l’on peut ou ne peut pas faire sous ce joug inédit. C’est par cette entremise que le cinéaste livre un film subversif, tirant sur tout le monde, actifs et passifs, aisés et démunis, y compris ses deux héros. Des héros, il n’y en a pas pendant l’occupation, seulement des circonstances plus ou moins favorables.


Autant-Lara s’est d’ailleurs vu imposé cet épilogue sur le quai de la gare par Gaumont, jugeant la fin trop amère, mais le film était bien censé se terminer sur la plaque d’immatriculation du camion entraînant Martin vers le Styx.


Paris est bien évidemment le troisième larron dans cette affaire, magnifiée par les images tranchées de ces deux silhouettes dans la nuit, comme tant de tableaux clair-obscurs baroques, comme un théâtre d’ombre au cœur des ténèbres, que viennent sublimer les contours des monuments et les cris des loups. On l'a rarement vu aussi belle et terrifiante. Une véritable femme fatale de film noir.


La traversée est courte pour le spectateur, mais haletante de bout en bout. Pas un faux pas, juste quelques faux-jetons remis dans leur casier, quelques moments de bravoure chaotiques, et un morceau d’accordéon pour couvrir la boucherie. Un chef d'œuvre panthéonisé fissa dans ma cinéphilie.


Frakkazak

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