- Pourquoi la bande du Bateau de fer veut-elle te tuer ?
- Mon histoire t'intéresse ?
- Je n'ai rien d'autre à faire qu'à t'écouter.
- Le Bateau de fer est une organisation criminelle spécialisée dans le vol. Son chef s'appelle Yue Xi-hong. C'est le père adoptif des 13 Aigles. Il est cruel. Sans pitié. Dénué de sentiments. Il a élevé les 13 Aigles pour en faire des instruments de mort. Il ignore le mot "affection". Si un camarade trahissait un sentiement amical, il était battu. La mentalité de Yue Xi-hong est devenue celle des 13 Aigles : une totale obéissance. J'étais orphelin. À 7 ans, j'ai été vendu à Yue Xi-hong. Pour lui, j'ai tué, incendié. J'ai commis toutes les atrocités. Mes émotions se sont éteintes. Je ne sais plus combien d'enfants nous étions au départ. Ceux qui craignaient la mort, qui désobéissaient, qui se battaient mal ou avaient bon coeur, périssaient de la main de Yue Xi-hong. À la fin, on n'était plus que 13.
Sun Chung un des réalisateurs les plus talentueux de la production Shaw Brothers pour ses nombreux polars, livre avec La Vengeance de l'aigle (et non : La Vengeance de l'aigle de Shaolin, qui n'est qu'un titre facultatif) une oeuvre fatidique laissant de côté le moindre romantisme pour raconter une histoire tragique via un processus de repentance sous forme de conscience humaine, venant torturer l'esprit d'un tueur implacable, après un évènement tragique, appartenant au "Clan des Aigles" alias "Le Bateau de fer", une organisation criminelle spécialisée dans le vol et le meurtre : "Qi Ming-xing" (Ti Lung). Une conscience qui se construit dans la douleur, se forgeant au fur et à mesure des échecs de Qi Ming-xing, personnage endoctriné depuis son enfance par le terrible "Yue Xi-hong" (Ku Feng), n'ayant connu que la dureté à travers un système de formation rude, où celui qui échoue est éliminé. La valeur de la haine a une place prépondérante dans un monde où faire couler toujours plus de sang à l'aide d'une épée est une fatalité dont on ne peut se soustraire. De l'ombre à la lumière, le chemin à gravir est long, la nature humaine étant ce qu'elle est.
Qii Ming-xing malgré son échec à pouvoir défendre une famille heureuse l'ayant lui-même sauver par le passé dans laquelle il y a rencontré une belle et jeune femme pour qui il aura une affection particulière qui l'ouvrira à un monde de douceur et de gentillesse auquel il est totalement étranger, qui le bouleversera après le meurtre commanditer de son père et auquel il devait participer. Néanmoins, alors qu'il s'était promis de ne plus tuer, il ne mettra pas fin à sa carrière d'assassin, voulant malgré tout rester fidèle à son père, revenant dans l'organisation, mais cette fois-ci imprégné de doutes, et d'incertitudes symbolisées par une conscience humaine. Ce ne sera qu'après avoir tué une femme enceinte et innocente au cours d'une autre mission que la moralité va prendre le dessus sur la mission. Des émotions symbolisées par le doute et le remords qui le pousseront à quitter le Clan des Aigles. Yue Xi-hong perçoit ce geste comme une traitrise et envoie les douze frères de Qi Ming-xing le poursuivre afin de le tuer.
Malgré tout, Qi Ming-xing encore en proie aux doutes, ne veux ni la mort de ses frères, ni celle de son père, la fuite étant sa seule option. Ce n'est qu'après la rencontre avec "Zhuo Yi-fan" (Alexander Fu Sheng), un vagabond solitaire et mystérieux qui l'aidera dans son périple, que celui-ci va enfin se forger une certitude sur la conduite à tenir envers lui-même, mais aussi envers son père et ses frères. Toute la construction morale autour du personnage de Qi Ming-xing alimente efficacement le récit, se révélant être un personnage principale loin de la figure héroïque conventionnelle, car ayant tué d'innombrables personnes; émotionnellement lâche et confus à cause de la vision du monde qui lui a été inculquée et qui fera de lui un homme en proie aux doutes jusqu'au final. L'histoire appréhende intelligemment cette idée, délaissant tout autre originalité narrative.
- Quel est votre nom ? Votre nom ?
- L'Errant.
- Ha! Ha! Ha! Bien trouvé. Très joli nom.
- Et le vôtre ?
- ...Sans-feu-ni-lieu.
<< Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! >>
- Bien trouvé également.
La particularité du film de Sun Chung réside également dans son style et ses caractéristiques le tout avec des dialogues percutants et inspirants. Le contrôle du rythme est très bon, avec des scènes souvent dynamiques et habiles maintenant tout du long l'attention. La caméra au travers d'une image de qualité présente quelques cadres intéressant avec des tentatives de ralentis plus ou moins réussit. Les scènes subjectives tremblantes avec des vues en contre-plongée sont très tendances. Bien que dans l'ensemble se soit plutôt bien fichu (je pense en particulier au désert), le manque de décors extérieurs se fait un peu ressentir, notamment autour de l'antre du Clan des Aigles, un immense bateau que l'on ne voit que de l'intérieur et jamais de l'extérieur. La bande-son composée par Chen Yung-yu est très agréable, ajoutant un ton atmosphérique à l'oeuvre.
Les scènes de combat sont nombreuses et nerveuses avec des chorégraphies au top, on a même droit à travers celles-ci, à quelques légères notes d'humour. La confrontation dans l'auberge est bonne, car l'on peut voir une véritable tactique mise en place par Qi Ming-xing et Zhuo Yi-fan pour vaincre trois adversaires plus fort qu'eux. La confrontation finale entre Qi Ming-xing, Zhuo Yi-fan et Yue Xi-hong est également très excitante et à de quoi grandement tenir en haleine avec des retournements de situation efficaces et éprouvantes. Ku Feng pète la forme, montrant des gestes techniques et des pirouettes impressionnantes! Les nombreuses armes utilisées par l'ensemble des personnages dans le film ajoutent de l'intérêt. Les bâtons à trois sections utilisés par Qi Ming-xing, les doubles couteaux attachés aux poignés de Zhuo Yi-fan, ainsi que les griffes ou serres de fer utilisées par Yue Xi-hong sont superbement mis à disposition de l'action.
La performance des trois comédiens principaux est remarquable. L'énorme Ku Feng sous les traits de Yue Xi-hong l'antagoniste principal de l'histoire est unique. Doté d'un design soigné ayant vraiment de l'allure, la caractéristique unique de ce personnage provient du cynisme et du sens impitoyable qui l'accompagne et qui pourtant face à Qi Ming-xing traduit un malaise profond et silencieux dans lequel on finit par comprendre qu'il aime véritablement son fils. Un personnage difficile à cerner, qui malgré sa promesse de sanctionner et de tuer Qi Ming-xing, nous laisse constater qu'il se soucie de le perdre, alors que pourtant il a formé ses fils à être impitoyable et à ne ressentir aucune émotion. Cela révèle un peu de sincérité affective dans ce déluge de haine. Une émotion interdite, qu'il ne doit surtout pas montrer à ses fils car se serait perçu comme une faiblesse. Je ne suis même pas sûr que ce personnage soit conscient de ce lien, ainsi que de ce sentiment. Un jeu subtil qui trompe.
Ti Lung propose à travers le personnage de Qi Ming-xing une autre image de celui-ci, d'habitude cantonné à des rôles héroïques parfaits sous tous les angles. Il ajoute une corde supplémentaire à son arc, en incarnant habilement un guerrier empreint de doutes, d'hostilité et de vicissitudes.
Alexander Fu Sheng dans le rôle de Zhuo Yi-fan, dit : "Lames-de-manchettes", est génial. Un personnage au visage multiple qui cache un lourd secret. Insidieux, espiègle, rusé, arrogant, malin, flatteur, méprisant, plein de ressentiment, sérieux et drôle à la fois, nombre d'émotions faisant de Zhuo Yi-fan une figure héroïque parfaite. Bien que j'adore le comédien Ti Lung, qui propose avec ce personnage un peu plus de subtilité qu'à l'accoutumé, c'est clairement Ku Feng et Alexander Fu Sheng qui marque les esprits, mais Ti Lung reste malgré tout dans ce film une pierre angulaire de taille.
CONCLUSION :
La vengeance de l'Aigle réalisé par Sun Chung et produit par le studio Shaw Brothers, est un wu xia pian efficace présentant un scénario pas autant banal comme beaucoup aiment à le dire, même si un peu bancal, présentant le basculement d'un assassin impitoyable vers la lumière à travers le remords, ainsi que la conscience humaine dans une forme hautement dramatique. Seulement, le sujet n'est pas traité avec légèreté et le pardon est long et tortueux. Un film d'action nerveux et impressionnant, présentant trois comédiens au top du top.
Un grand cru dans le wu xia pian made in Shaw Brothers.
- Ton histoire est drôle. Tu as de l'imagination.
- Après avoir pris la décision la plus importante de ma vie, Yue Xi-hong veut me tuer et ça t'amuse?
- Tu n'as aucune raison de le trahir.
- Je suis las de tuer.
- Je ne te crois pas. Tu as dit que Yue Xi-hong vous a entraînés pour faire de vous des intruments de mort, comme son sabre. C'est curieux. Un instrument est-il capable de penser et de trahir ?
- Un instrument ne trahit pas. Mais Yue Xi-hong a négligé un détail : je suis un être humain.