Premièrement, le film est inspiré d’une affaire retentissante des années 1950 : celle de Pauline Dubuisson. Mais cette fois ci, Pauline est remplacée par un personnage fictif : celui de Dominique, elle-même remplacée par une actrice, Brigitte Bardot, tout bonnement incroyable. Le titre de l’œuvre, La Vérité, est significatif de l’envie même du scénario : relater un procès et son jugement tout en essayant de comprendre les péripéties qui ont fait que nous sommes arrivés aux soupçons en question qui accusent une femme d’avoir assassiné son amant. Mais au lieu de s’inscrire dans le cadre des films de prison ou d’œuvres purement judiciaires, Henri Georges Clouzot insère parfaitement ses temporalités à la fois visuelles et de récit, pour construire le portrait d’une femme en quête d’une liberté qu’elle n’aura sans doute jamais.


A l’image de ces nombreux plans qui montrent Brigitte Bardot seule dans son box dans cette grande salle de tribunal face à un parterre d’avocats ou de citoyens venus pour « brûler la sorcière », la jeune Dominique vociférera dans le vide, criera sa fureur face à une meute en quête de sang. La Vérité, c’est presque une affaire de vengeance : celle d’une société qui n’aime pas ce genre de jeunes femmes et la vengeance de cette jeune femme qui espérait dépasser sa propre condition de ménagère qui reste à la maison faisant des bons petits plats. Dominique n’était rien de tout cela : oisive, dépressive, elle voulait juste boire la vie comme elle buvait des coupes de champagne. Le film déploie ses rouages entre scènes de procès et flashbacks nous remémorant les instantanés d’une histoire amoureuse douloureuse, sensuelle, clivante, le genre de quête de l’être aimé impossible.


Henri Georges Clouzot , au-delà de son intelligence formelle, à la fois dans la cadre mais aussi dans le découpage, qui voit les époques interférer entre elles sans qu’il y ait ingérence de jugement, arrive à construire une œuvre riche qui marche sur la superposition de plusieurs dualités : celle entre la raison et la passion, le chaud des émotions et le froid des reconstitutions judiciaires, l’envie de liberté et une morale réactionnaire, et le miroir entre le personnage de Dominique et le reflet d’une Brigitte qui semble par moments jouer son propre rôle face aux journalistes qui l’épient à la moindre minute au moment de sa starification. De ce fait, le récit devient déchirant : car à travers la vie de Dominique, c’est une société qui se matérialise devant nous, ce sont tous les stigmates d’une jeune femme du début des années 60 qui se dessinent avec sa rébellion et son incandescence physique.


La performance de Brigitte Bardot offre une grande gamme d’émotions, allant du froid au méprisant jusqu’à la sensualité abandonnée. Aussi familières que sont ses manières et ses attitudes, sa franchise éhontée suggère une forme d’anarchisme d’une couche de la jeunesse contemporaine. Et pour autant, La Vérité n’est pas un scénario à charge ni même un pamphlet contre les hommes mais un portrait qui se positionne sur une question d’ordre plus global : la prédominance de la raison, du poids des preuves et des faits sur la vérité d’une passion, d’un quotidien, sur la chute d’un espoir. En cela, le film d’Henri Georges Clouzot devient une réelle tragédie, une descente aux enfers cruelle et audible, une histoire qui déclenche beaucoup d’émotions, comme lors de cette flamboyante tirade de Dominique, qui regarde ses accusateurs en les traitant de « morts ».


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Velvetman
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le 20 oct. 2017

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