Maintenant que j'ai vu "La Vérité sur Bébé Donge" je ne peux que confirmer que ce portrait "noir" d'une femme bafouée et humiliée, est, avec "Madame de..." et "Marie-Octobre", l'un des plus grands rôles de la grande Danielle Darrieux, qui prouvait vraiment ses talents pour le drame et la noirceur, au sommet de son talent dans ce rôle écrit pour elle par son cinéaste fétiche d'avant-guerre (et accessoirement son ex-mari): Henri Decoin.
Ce dernier adapte un des romans de Simenon avec brio, car comme les romans d'Agatha Christie, ceux-ci le sont souvent mal et platement mis en scène. Ce n'est pas le cas ici.
Decoin opte pour la construction en flash back et nous révèle la couleur dès le départ: François Donge (Jean Gabin), grand homme d'affaire, est officiellement hospitalisé pour intoxication alimentaire aux huitres, mais tout le monde sait que s'il est cloué là, dans ce lit, c'est à cause de sa femme Elisabeth, dite Bébé (Danielle Darrieux), qui semble avoir commis un acte irréparable: l'empoisonnement... Sauf que Donge, ne souhaite pas que l'on "inquiète" sa femme;;; histoire de sauver les apparences dans ce monde qu'est la haute bourgeoisie de province?
Même si on a l'impression que Decoin maîtrise mal la transition des flash backs techniquement et patine un peu sur leur rythme au départ, notamment à cause des scènes d'exposition présentant les personnages et leurs mobiles de bases, -Decoin n'est pas Welles tout de même-, son intelligence est de faire "raconter" l'histoire par le mari "victime" de sa femme, cloué au lit, ne sachant pas s'il va vivre ou mourir...
Toutefois on comprend très vite que les flash backs de la rencontre, du mariage et du voyage de noce sont nécessaires pour venir appuyer le message que Decoin veut faire passer dans son adaptation de ce très bon roman de Simenon: la victime n'est pas celle que l'on nous présente au départ, mais c'est bien Bébé qui a commis un acte inimaginable et que notre "morale" bien-pensante tenterait de "Juger" et "Condamner" directement et sans préavis, l'envoyant directement à l'échafaud... Du moins, au départ...
Et il faut le grand talent de Darrieux, pour nous incarner une Elisabeth Donge contrastée, basculant peu à peu du romantisme échevelée et naïf -symbolisant sa légereté dans les films d'avant- à la noire désillusion de n'être qu'une épouse "modèle" et faites pour le bonheur -"le bonheur vous va bien"- comme le lui dit chaque année Madame d'Ortemont (exquise Gabrielle Dorziat) lors du bal réunissant toute la bonne société, ne devenant que l'ombre d'elle-même, caricature pathétique de toutes ces épouses bafouées, humiliées et délaissées par leur époux, pour le triomphe d'apparences faisant "jouer" le rôle d'une potiche... Car pour François Donge (Gabin n'est pas en reste face à Darrieux), sympathique au demeurant, inconscient de son machisme égoïste et égocentrique, tout cela est bien "normal": il y a d'abord les "Putes" puis "l' Epouse" d'un côté et les "Maîtresses" de l'autre...
Nous avons beau être en 2013, mais le point de vue de ce film de 1952, n'a absolument pas vieilli, et était certainement risqué pour l'époque en dénonçant de façon aussi noire la condition réservée aux femmes en général par les hommes...
Chaque scènes où Bébé apparait dans son tailleur noir lors de ses visites à François à la clinique sont magistrales, Darrieux réussissant à nous faire passer par son seul regard et sa manière de se mouvoir et de parler, toute la noirceur desespérée et le vide béant de l'inutilité et l'absurdité de sa vie et de son acte, devenue une morte vivante, plus morte que celui qui va finir par le devenir...
Des scènes finales qui dans le jeu et la mise en scène sont d'une beauté exceptionnelle, touchant au sublime... Le dernier face à face Darrieux-Gabin "Elisabeth, s'il n'y a plus d'espoir quand tout est perdu, qu'est ce que l'espoir? " lance Gabin, conscient du mal fait à Bébé, Darrieux hiératique et froide lui tournant le dos sans se retourner... Il y a des blessures qui vous laissent en vie physiquement mais qui vous tuent à jamais de l'intérieur...Alors lequel des deux est le plus monstrueux: celle qui a empoisonné ou celui qui a "tué" moralement ?
Puis la scène finale, révélant une Bébé qui, responsable et lucide, qui accepte son destin, descendant l'escalier et montant la voiture du juge... Déchirant, tragique et sublime... Du grand art.

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