« La Vie d’O’Haru, femme galante », n’est pas le film le plus cité de la filmographie de Kenji Mizoguchi. Dans la carrière du prolifique cinéaste japonais, ce sont d’autres noms qui ont tendance à surgir, de « L’Intendant Sansho » aux « Amants Crucifiés ». Pourtant, c’est « La Vie d’O’Haru, femme galante » qui propulse le réalisateur sur la scène internationale, alors que ce premier prospère à la Mostra de Venise en 1952.


Plus que jamais, c’est l’influence de Carl Theodore Dreyer qui apparaît. Ce dernier et Kenji Mizoguchi sont, de toute l’histoire du cinéma, probablement ceux qui ont le mieux parlé du désir et du désespoir féminin. Mizoguchi suit ici, entre autre, la vie d’une prostituée japonaise au cœur d’une société féodale reposant sur la puissance masculine. Outre le fait qu’il s’agisse du film ayant propulsé le nom de Mizoguchi sur la planète cinéphile entière, « La Vie d’O’Haru, femme galante » est également le premier film-somme de l’auteur. L’impressionnante série de malheurs que vit O’Haru dans toutes les couches de la société n’est que la représentation même du personnage tragique par excellence.


Tout le long de sa filmographie, comme notamment dans « L’Intendant Sansho », Mizoguchi fait vivre à ses protagonistes les plus grands malheurs, en tournant le tout comme une critique d’une société machiste et synthétique qu’est le Japon médiéval. C’est le signe que pour Mizoguchi, seules les femmes peuvent faire l’expérience de la tragédie extrême. Les malheurs d’O’Haru ne viennent que des hommes, de son fils comme de son père ou de son patron. En contrepartie, elle déclenche elle même le malheur chez les femmes. Mais comme c’est bien souvent le cas chez Mizoguchi, l’homme n’est rien sans la femme. On parle de cette dernière pour mieux évoquer les hommes, et vice-versa. Notre héroïne va rapidement s’égarer, va oublier ses valeurs, voire son honneur. Mais seule les femmes sont là pour lui ouvrir les yeux, pour lui faire rappeler que son cas n’est pas isolé, et même plutôt confortable.


Kenji Mizoguchi déballe donc l’injustice des classes féodales et la chute sociale progressive de la femme. Cette chute, lente et impitoyable, est dressée avec une précision clinique. Bien loin du mélodrame larmoyant, « La Vie d’O’Haru, femme galante » repose également sur une injection de grotesque, comme la séquence du chat et de la perruque, où le comique est reconstitué de manière glaciale. L’image est porteuse de sens, apportant harmonie et poésie à cette histoire tumultueuse. Elle se convertie aux mots, elle reste sobre malgré la tragédie.


Véritable procès du féodalisme, « La Vie d’O’Haru, femme galante » vaut aussi pour la société contemporaine. Que dire également de la composition très nuancée et juste de Kinuyo Tanaka dans le rôle principal. Le film est à l’image de la vie d’O’Haru, répétitif mais varié. Un film féministe, mais aussi est surtout un film sur le temps, l’instant, et l’éternité. Nager dans un cinéma japonais traditionnel pour mieux ouvrir ses bras à la modernité : le génie de Kenji Mizoguchi a toujours été là, et il le restera.

Kiwi-
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le 11 avr. 2016

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