Film très étonnant positionné pourtant en plein cœur de la partie la plus prolifique et réputée de la carrière de Seijun Suzuki, "La Vie d'un tatoué" (1965) détonne par sa relative sobriété tranchant avec, au hasard, le sulfureux "La Barrière de chair" sorti un an avant et le frénétique "La Marque du tueur" deux ans après. C'est simple, si l'on omet la courte introduction plantant le décor et le final sous la forme d'un règlement de comptes à un contre tous, on a là un film de yakuzas tout ce qu'il y a de plus normal, sage, avec ses moments bouffons et ses arcs romantiques.


L'introduction est assez expéditive : en 5 minutes, on découvre l'existence de deux frères que tout oppose, l'un est artiste et souhaite intégrer les beaux-arts tandis que le second est un yakuza tout ce qu'il y a de plus classique. Le premier sauve presque par hasard la vie du second en déjouant une embuscade, et la mort d'un grand parrain dans le feu de l'action les contraint à prendre la fuite pour se réfugier dans une ville éloignée, bastion ouvrier employant de nombreux hommes dans les mines. Et voilà Suzuki lancé sur des rails tranquilles, les deux frères tentant de se fondre dans la masse et d'intégrer la communauté ouvrière locale, ce qui est au passage l'occasion pour eux de découvrir les conditions d'existence peu enviables de ces prolétaires au charbon. Le thème du passé à oublier, du passif criminel à taire pour s'intégrer, devient le premier plan du film de manière très surprenante, avec en élément perturbateur un policier identifié par ses chaussures rouges enquêtant dans les parages.


Chacun des deux protagonistes aura ses petites liaisons sentimentales, plus ou moins avouables, et Suzuki met en scène ces séquences romantiques d'une manière très prude, timide, presque gênée (un running gag au sujet de la nudité est digne d'un temps adolescent), ce qui donne à toute la partie médiane du film une atmosphère tendre et sereine. Les deux frères montrent néanmoins des difficultés certaines pour s'intégrer dans cette nouvelle vie normale. En toile de fond, l'enquête progresse et alimente une tension grandissante... Et petit à petit les pièces se mettent en place pour lancer l'ultime séquence, morceau brut de vengeance qui laisse éclater la folie esthétique de Suzuki (ruptures de couleurs et de lumières permanentes, angles de vue improbables, affrontements nombreux en plan-séquence).

Créée

le 30 sept. 2024

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Morrinson

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