Les arcanes du film français.
Un loft du boulevard magenta, cinquième sans ascenseur. Plusieurs bureaux ont été fusionnés pour former un îlot central sur lequel sont dispersés des montagnes de dossiers. Au mur, une affiche de Jean Eustache. Au sol, du lino beige.
- C’est pour ça, Anne. Le féminisme n’a jamais été un sujet très glamour, il faut qu’on s’en empare.
- Tu as raison, Caro. Un film de femmes, sur les femmes qui donne à voir ce qu’on ne montre jamais.
- Les courses avec le pot de confiture qui s’éclate sur le parking
- Le linge.
- Oui, bonne remarque, Simon. On voit que tu sais qui fait quoi.
- Je dis ça comme ça… Moi aussi, je te fais remarquer…
- Oui, oui, c’est bon. Et l’école, les diners à organiser, la vie domestique, quoi.
- Comme Desperate Housewives, en somme.
- Tu ne comprends rien, Simon. Explique lui, Caroline.
- C’est vrai, enfin. Pourquoi faudrait-il nécessairement RIRE de ces femmes d’intérieur névrosées et futiles ? C’est encore une esquive. Non, là on va dénoncer.
- Exactement. Qu’est-ce que tu vois à dénoncer, Simon ?
- Euh… le machisme ?
- Voilà : un système phallocrate où les hommes ne parlent que des coiffures des femmes et considèrent leurs professions comme un hobby.
- Eux, c’est golf, tir à l’arc, mépris inconscient.
- Subtil, hein, cocotte. Je veux vraiment que les mecs se rendent pas compte au départ à quel point ils vont en prendre pour leur grade.
- Bien vu. Pour ça, on charge aussi légèrement les dames. Mais pas l’héroïne, hein, elle elle veut juste un emploi, elle s’occupe d’atelier littéraire dans un lycée pro, elle est de gauche, un peu dépassée, mais c’est la gentille. On l’empêche de s’épanouir et elle aura pas son job parce qu’elle doit chercher les enfants à l’école.
- Oui, et les autres, elles ont plus de fric, quoi. Shopping, discussions condescendantes sur les quartiers défavorisés, mon dieu faire des travaux dans la véranda fut une plaie, banlieue avec toujours la même maison, je me décharge sur la jeune fille au pair, tout ça.
- Bien, bien, on a notre équilibre.
- Et sinon, je veux dire… y’a une intrigue ?
- Simon, je te le dis comme ça, mais tu me désoles. On croque ces instants du quotidien, duquel va sourdre une angoisse qui renverra chaque spectateur à sa propre routine, afin de le remettre en question. Pas d’intrigue. C’est de la vie qu’on parle. La vie n’est pas un scénario, elle n’a pas de pitch, enfin !
- Exactement : la quasi-totalité des femmes s’emmerde en France. Que le spectateur s’emmerde avec elle, c’est trop demander ?
- Ah d’accord, désolé.
- Et puis ne t’excuse pas tout le temps comme ça non plus, achète des couilles, qu’on en finisse.
- Je me disais, déclinons le portrait de la femme sur différents âges.
- Oui : les petites se font kidnapper et étouffer, les ados engrosser ou marier de force dans les cités, et les mères sont réduites à un esclavage qui ne dit pas son nom. Simon, t’apportes quoi à cette table ronde, en fait ?
- Euh, je me disais, ce serait bien de voir un mec encore plus infect que le mari, pour tromper le spectateur sur la cible. Genre un chef d’entreprise au début, alors que lui est proviseur.
- Bien. Un type raciste, et sexiste.
- Voilà. On commence par un dîner trop chiant avec le cliché du mec de droite, pour mettre l’ambiance.
- …et à la fin, on remet ça, mais avec des gens censés être des amis. Et en fait, les mecs disent la même chose. C’est des salauds, mais plus polis.
- Plus pernicieux.
- Plus subtils. Ils le savent même pas, qu’ils sont des enfoirés. Du genre à valoriser la dernière chanteuse à la mode, par exemple cette salope de danoise d’Agnes Obel, est-ce qu’elle fait le linge, elle, hein ?!
- Bien vu, ça. On prend des bonnes actrices, à la française, quoi.
- Emmanuelle Devos, bien sûr.
- Pour le groupe, vous me faites un petit panel. La belle…
- Noguerra
- la vieillissante mais drôle…
- Ferrier
- Et la bourge jolie mais dépressive. N’importe qui.
- Les amis, on tient un beau sujet.