Les hommes qui n'aimaient pas les femmes

Sombre avait marqué les esprits avec l’avènement de son télescopage cinétique fait de folie dévorante et d’une mise en image déstructurée, tremblante et aliénée par son animalité. Une œuvre dissoute qui suintait le malaise et qui faisait du corps l’énergie primitive d’un style cinématographique aussi prodigieux qu’insidieux. Oui, Philippe Grandrieux mettait en scène un cinéma hors des sentiers battus, composé d’un schéma narratif plus que flou même si le fil rouge amoureux entreposé autour de ses protagonistes, se suivait sans efforts. Mais avec La Vie Nouvelle, le réalisateur décide d’amplifier sa profession de foi, de désynchroniser encore plus sa manière d’appréhender l’écriture scénaristique. Le choc en est encore plus fort, plus pessimiste.


L’expérimentation est le maître mot d’une œuvre proche du précipice. Le vide qui suit le bord de la falaise n’est jamais loin. Pour se faire, Grandrieux minimalise son récit et fait de son film une cabale perpétuelle dans la recherche esthétique. On se retrouve dans un monde post-industriel, sans vie et sans humanité, que l’on pense éclaté et fusillé dans ses entrailles par les ravages récents de la guerre. Comme si le monde de Mad Max avait perdu tout espoir de rédemption. Grandrieux nous fait visiter les artères, les coulisses sombres et lugubres d’un monde moribond. C’est alors que les corps disloqués se superposent, s’acheminent dans un chemin qui ne mènent à rien. Mélania est une prostituée et Seymour, un occidental, va tomber sous le charme de cette dernière.


La Vie Nouvelle est difficile à discerner, à catégoriser tant il exploite une nouvelle manière de l’émanation des sentiments. Chez Grandrieux, les émotions se transforment en sensation : au lieu de créer un langage compréhensible par l’utilisation des mots, le réalisateur français brutalise les corps, les met à nus au sens propre comme au sens figuré. Un mouvement, une danse, un cri, une course, un regard est la forme d’expression d’un monde dépourvu de raison. Un univers où l’instinct, la primitivité, la format archétypal des relations humaines deviennent un quotidien désagrégé. Les dialogues sont inexistants, seules quelques phrases transparaissent, quelques mots s’accomplissent mais rien de plus. On y voit des individus qui se battent, qui dansent, qui baisent, qui déambulent.


La férocité s’exprime dans un monde où les troubles s’incarnent par le biais de la respiration charnelle. Tout se joue sur les regards, sur ces corps organiques qui bougent et se transfigurent. Et par conséquence, la science cinématographique de Grandrieux dévoile alors son génie : un travail incessant sur le son et ses excursions bourdonnantes et caverneuses. La caméra tremble, se veut toujours aussi approximative dans ses déplacements, toujours aussi mouvante dans l’évocation visuelle des corps dans le but de capter de plus près, les méandres qui rongent les hommes et femmes qui baignent dans le récit. Comme en témoigne cette scène où seule la chaleur thermique permet de nous faire « comprendre » que ses individus sont encore humains.


Le film est très radical dans sa façon de raconter ses individus. Les femmes, toutes des prostituées, objets sexuels de tous les désirs, seul remède et digression pour des hommes écorchés vifs et fracturés par la guerre. La vie nouvelle s'empare de cette essence pour en faire une sorte de psychédélisme bringuebalant, une peinture érotique, une bombe à fantasme tournoyant autour de ses corps nus sans âmes. Grandrieux montre une relation homme/femme animale, anxiogène dans un monde marchand et corrompu qui se détache de lui-même.


Comme Paz de la Huerta dans Enter The Void, Anna Mouglalis inonde le film de toute sa splendeur grâce à sa force hypnotique, son regard de chat, ses courbes longilignes et son visage comme seul beauté d'un environnement chaotique et repoussant. La vie nouvelle peut parait hermétique et son jusqu'au boutisme peut le rendre disgracieux dans sa bestialité protéiforme et sexuelle mais le cinéma de Grandrieux ne s'impose pas de barrières. C'est à la fois beau et laid, faible et violent, marginal et humain. Un cinéma organique, un amas de pulsions rare.

Velvetman
8
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le 5 juil. 2016

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Velvetman

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