Première réalisation pour cet ancien scénariste de Seijun Suzuki et surtout ancien-assistant pour Shohei Imamura qui soutient son protégé (et ami) en co-écrivant le scénario de ce drame social qui eut les honneurs d'une présentation remarquée au Festival de Cannes.
C'est une oeuvre très ancrée dans le réel, le quotidien et les protagonistes modestes pour une narration qui refuse de dramatiser son récit, de tomber dans le misérabilisme, le chantage émotionnel, le pamphlet politique ou le manifeste esthétique "nouvelle vague" dont Urayama fut pourtant l'un des grands représentants aux premières heures de cette décennie.
Cette approche est à double tranchant et possède les qualités de ses faiblesses et vice-versa. Le traitement du contexte sociale est une grande réussite, toujours d'une admirable justesse, évitant les pièges du film trop engagé, pour se recentrer sur les personnages, filmés tel qu'ils sont, c'est à dire sans être romancé, ni glorifié : le père refuse l'aide des syndicats tant par orgueil que par craintes d'être considéré comme un "rouge", les garçons se lancent dans les petites magouilles sans se poser de question sur leurs conséquences, la mère ne parvient pas à enrayer les penchants pour le jeu et l'alcool de son mari, la grande sœur trouve un boulot dans un packinko tout en demeurant handicapé par sa candeur.
Le cinéaste aborde plusieurs thèmes avec beaucoup de sobriété sans jamais s'étaler dans le film à thèse comme l'évocation très subtile du sort des nord-coréens sur le point de retourner dans leur pays ou la manière dont les yakuzas gangrènent doucement ce Japon de l'après-guerre où le boom économique crée de nombreux laissés-pour-compte. De ce point de vue là, le travail d'intégration des personnages dans l'environnement (scénaristique et visuel via de vrais extérieurs) est remarquable.
Le problème, c'est que cette retenue et cette absence d'enjeux dramatiques définis finissent par tout de même affaiblir l'impact de l'oeuvre sur le public. J'avoue avoir senti à plusieurs reprises un détachement et une froideur assez contrariant qui m'empêchent d'adhérer totalement au film même si certaines séquences sont excellentes : lorsque les plus jeunes garçons volent le lait d'un livreur de leur âge avant de découvrir que celui-ci connaît les mêmes difficultés qu'eux et verra son salaire gelé ; le comportement du père face à une industrie qui s'automatise ; le mépris envers les coréens qui ressort spontanément, comme une insulte etc...
Sentiment mitigé donc bien que ça demeure un début de carrière prometteur, courageux et maîtrisé avec un réel regard sans complaisance ni paternalisme.
Le problème vient peut-être aussi de la récente découverte de Maman ! (sorti un an plus tôt) de Nubuo Nakagawa sur un sujet très proche qui m'avait totalement remué, même si pour le coup le scénario est bien plus conventionnel et calibré.