Réalisateur atypique affilié au surréalisme, Ruiz livre avec La ville des pirates un récit fragmenté, chargé d'une poésie visuelle et verbale à l'esthétique baroque, n'obéissant à aucune véritable grammaire classique mais plutôt au hasard créatif suivant les méandres d'une imagination foisonnante, parfois déroutante pour le spectateur peu habitué à cet avènement du signifiant au profit du signifié.
Quand nous disons signifiant, nous pensons tout d'abord à l'image, c'est-à-dire celle que perçoit l’œil. Chaque scène compose des tableaux savamment composés de collages dadas, natures mortes, paysages dont les filtres de couleur renforcent la dimension onirique, … . De même, l'attention portée aux prises de vues, aux angles surprenants, à la disposition des objets et des personnes traduit une approche cinématographique d'abord centrée sur le plan fixe, proche de la photographie.
Ensuite, par signifiant nous entendons également le langage proprement verbal. Celui-ci, à l'instar du langage visuel, s'attache avant tout à la beauté plastique, sacrifiant par la même la sémantique en cryptant le message sous des apprêts poétiques. Si le grammaire hachée du montage nous rappelle un certain Godard, la structure discursive des dialogues de Ruiz renvoie, elle, à la poésie textualiste de Mallarmé, qui enfantera les dadas et les surréalistes composant la famille plus proche de cinéaste Chilien.
Si nous pouvons reconnaître la qualité de la recherche plastique, l'audace de Ruiz et la création d'un cinéma personnel, cette succession de tableaux dépouillée de narration et faisant fi de la cohérence nuit à la relation spectateur/réalisateur. En effet, il faut reconnaître que cette absence d'histoire, de mouvement de la caméra, de réflexion ne peut solliciter qu'un public passif absorbant comme un miroir l'image projetée. Par ailleurs, le message, frôlant avec les marges de l’hermétisme, n'atteint pas son destinataire qui demeure stupéfait et se débat seul pendant plus de deux heures parmi le délire confus et absurde d'un réalisateur égoïste jouissant de son travail sans faire partager son plaisir. Sacrifier ainsi ce qui fait la magie du cinéma nous semble, si ce n'est arrogant et condescendant, tout du moins une démarche vaine et stérile. Il apparaît donc pertinent de se demander si le spectateur mérite une telle épreuve pour un si maigre butin.