"La Ville sans juifs" est un film muet assez singulier de ces années-là dont, sans ne rien connaître du contenu, il nous viendrait à l'esprit qu'il s'agirait d'un énième film de propagande nazie. Oeuvre longtemps considéré comme perdue et tirée du roman de son auteur assassiné en 1925 par un sympathisant national-socialiste, on tient un long-métrage qui n'est pas dénué d'un certain intérêt historique et qui semble prometteur à première vue. Dans la république imaginaire d'Utopia, une grave crise économique a éclaté, devenant ainsi le terreau d'une hostilité grandissante envers la communauté juive. Celle-ci que l'on associait (et associe encore) au contrôle des institutions bancaires et financières va commencer à être ostracisée pour finir bannie d'une société dont la condition ne s'améliorera jamais. De cette décision politique découle le boycott et l'abandon d'une nation totalement dérégulée.
Pamphlet ouvertement contre l'antisémitisme, "La Ville sans juifs" explore le fameux mythe du protocole des sages de Sion qui mentionnerait la toute puissance de ce peuple qui régnerait sur le monde. Relégué au rang de paria et de bouc émissaire, le monde politique d'Utopia finira par se rendre compte que l'hostilité envers une religion ne repose sur aucun fondement tangible et que toutes font partie de la grande machine civilisationnelle.
Dans les faits, on ne peut contester la démarche louable et audacieuse d'un auteur en ces temps troublés où il fallait désigner une cible à abattre. Néanmoins, il est bien difficile d'être convaincu par le film sur sa durée. Le fait de faire dérouler son histoire dans une réalité parallèle était une occasion rêvée pour créer tout un monde fantastique inspiré des grands chefs-d'oeuvre de l'expressionnisme. Il n'en sera rien vu que les décors seront tout ce qu'il y a de plus basiques et succincts. Recourir au procédé expressionniste aurait pu amplifier le sentiment de dangerosité d'une nation et d'une hostilité envers les juifs. Il ne faudra compter que sur une seule approche calligariste dans une scène très clairement inspirée du superbe "Le Cabinet du Docteur Caligari" pour avoir quelque chose d'esthétiquement recherché.
Enfin, on est fort bien déboussolé devant un scénario qui est finalement assez peu inspiré et limité sur sa durée dont les moments forts sont rares. Les débats houleux dans l'assemblée, les mouvements de manifestants, quelques scènes de l'exode du peuple juif et c'est à peu près tout. Je n'ai pas lu le livre mais je me persuade à croire qu'il y aurait eu moyen d'en faire un bijou d'adaptation cinématographique. Un cri à la tolérance typique de ces années-là que le temps effacera petit à petit car l'on sait ce qu'il adviendra un peu plus tard dans les années 30.