On peut lire un peu partout sur internet et dans la presse spécialisée que Just Mercy manque de cinéma, qu’il ne vaut guère mieux qu’un téléfilm diffusé en milieu d’après-midi. En effet, le film modère ses effets voire se dépouille de tout artifice pour toucher le cœur de son sujet, l’épouser par sa forme même ; et ce cœur, c’est la vérité, la poursuite acharnée de la vérité. Il fallait, pour mettre en scène un tel propos, savoir se faire oublier, renoncer au clinquant, au mélodramatique, à l’hagiographique. Et si la démarche de Just Mercy met en lumière une figure magnifique et magnifiée, ce n’est pas tant par ses effets de manche, ici absents, que par et pour les combats qu’elle a menés, pour les affronts répétés qu’elle a essuyés sans jamais plier. Dit autrement, le potentiel héroïque de Bryan Stevenson ne relève jamais d’une construction par l’artifice, seulement de la reconstitution des batailles qu’il a menées, sobre, classique, magistrale.
Le jeune et talentueux avocat n’a de cesse de le répéter : « le contraire de la pauvreté, c’est la justice ». Le réalisateur, Destin Daniel Cretton, applique à la lettre ce constat et compose un long métrage à la structure simple, suivant la chronologie tout en s’autorisant quelques petites digressions poétiques – le retour dans la forêt de pins, le souvenir de cette route de terre et du foyer qui se situe au bout –, à la forme passe-partout, qui n’attire pas l’attention sur elle, mais qui porte en elle les étincelles d’une révolte qui tend à grandir, rallier à son feu une communauté de plus en plus importante, allumée seulement par le besoin de justice. Le spectateur entre dans Just Mercy comme dans un film de procès supplémentaire : pourquoi avoir porté à l’écran cette histoire relevant, après tout, du fait divers ? Il occupe la même position que les interlocuteurs qui questionnent Stevenson sur ses motivations à défendre des condamnés à mort : « pourquoi vous faites ça ? ». Petit à petit, le spectateur comprend. Le film, comme la plaidoirie finale, dépasse le combat individuel pour toucher du doigt une zone d’ombre de la justice américaine : tous les citoyens ne sont pas égaux devant les tribunaux, sont tributaires des critères sociaux et ethniques. Le combat pour la vérité se double ainsi d’un combat pour l’identité : l’innocence réhabilite un homme et les siens, rétablit un semblant d’harmonie – semblant, car la voie de la justice est plus longue à emprunter pour certains – dans ce droit fondamental à la justice au sein d’un État de droit.
Campé par d’excellents acteurs, Just Mercy nous dit quelque chose de la situation actuelle en Amérique, ainsi que dans bien d’autres pays du monde ; il tire le terrible constat de la prégnance de facteurs raciaux et sociaux dans le droit à la justice et, plus largement, à l’humanité. Car il suffit de s’intéresser au documentaire réalisé par Arte, « Un monde obèse », pour se rendre compte que l’injustice « judiciaire » n’est pas la seule à envoyer dans le couloir de la mort les plus démunis… Une œuvre urgente, puissante et juste.