Ce documentaire qui donne la parole aux patrons dans une époque post 68 où il est plus de mise de mettre en lumière le versant des travailleurs peut surprendre par sa rigueur. Plans fixe, discours sans questions ni relance, alternés par des séquences en contrepoint sur les chaines d’usine.
Epuré, politique, pragmatique, le propos des dirigeants est ainsi donné sans apparent appareil critique. Plutôt à l’aise, didactiques, les interrogés expliquent que démocratie et monde du travail ne font pas forcément bon ménage, qu’on n’est pas employé pour être aimé, et que le bonheur n’est pas à chercher dans l’entreprise. On fustige ou tolère avec condescendance les syndicats, et surtout, on a « la faiblesse de penser » qu’on est les meilleurs et qu’on ne dirige pas pour rien un grand groupe comme le sien.
Le documentaire est aussi la prise de pouls d’une économie son tournant : on explique la mise en place des multinationales, l’interaction avec la finance et l’anonymat progressif du capital… en en vantant bien entendu toujours les mérites.
Pourtant, l’appel à l’esprit critique du spectateur est annoncé d’emblée : la très malicieuse ouverture du film voit les sujets s’interroger sur le titre prévu du film, et s’y opposer. Exercice intelligent où l’on voit les patrons rechigner à être qualifiés de « maitres », fustiger la référence au chien et délivrer une habile leçon de communication en proposant des titres de plus en plus ridicules que les réalisateurs s’amusent à écrire sur l’écran : « les conquérants du possibles », « Oui boss », « Les gagneurs »… Non seulement, ils conservent leur titre, affirmant ainsi leur indépendance, mais ils initient un débat fort instructif sur le sujet même du film : quels mots, quels concepts, quelle prudence, même, poser sur la notion de pouvoir ?
Le film nécessite une attention ardue et ne ménage pas son spectateur. Formellement, les petits aménagements (séquences muettes de travailleurs dans les usines, interviewés incrustés dans des téléviseurs contextualisés dans des intérieurs plus intimes ou sur des chaines de montage) sont assez dispensables, mais ne nuisent pas pour autant à l’intérêt réel du propos.