A priori les films qui traitent de la Shoah ou d'autres événements de cette ampleur, qui touchent à la "dignité" des humains sont difficile à traiter, à représenter étant donné que le cinéma va forcément esthétiser ce qu'il montre et donc l'affaiblir, jamais on ne pourra rendre compte de ce qu'étais les camps (c'était l'objet de la critique de Rivette du film "Kapo"). Moi qui aime le cinéma comme occasion de saisir un bout du réel, j'étais forcément dubitatif avant de regarder le film (même si on l'avait bien vendu).
Or là, on a vraiment un traitement intelligent. Toute personne européenne qui voit ce film est au courant de ce s'est passé, même si elle n'a pas les détails, au moins dans l'idée. Il n'y a donc pas vraiment besoin de représenter, chacun sait et imagine. L'imagination (et donc le hors-champ) est un formidable pour marquer le spectateur. Le réalisateur impose cette imagination de plus en plus dans le film. On voit d'abord Rudolf partir travailler, on voit les fumées de cheminés, de plus en plus fort à travers le regard de la famille d'abord (qui vit ici) puis à travers ceux de la mère, qui n'est pas habituée à cela. A ce moment les cheminées reprennent leur valeur exceptionnelle. Mais tout cela devient trivial, nous mêmes nous habituons à ce camps, à ces murs hideux et ces quelques cris.
En revanche deux scènes nous confrontent directement : la première en contre-plongée, on est dans le camps mais on ne le voit, Rudolf se perd dans la fumée et les cris du camp.
cette scène est pas mal mais la seconde est réellement virtuose, on est en dehors du camps, avec un enfant, la mort arbitraire d'un juif est ordonnée, là, comme ces gens, on ne peut plus faire comme si on ne savait pas, c'est réel, c'est vraiment en train d'arriver.
D'autant que la pomme a été amené par une petite juive (les moment en infrarouge sont les seuls moments où on voit le camp, vide. Et c'est terrible à quel point il parait banal). Durant l'entretient avec l'acteur principal, il disait que pour lui c'était symbole d'espoir, et bien si c'est cela l'espoir...
Glazer n'esthétise donc pas le camp et la violence mais la vie de la famille par contre oui. Si le contraste vie paradisiaque/horreur dans le camp m'inquiétant au début par son manichéisme il n'en est rien. Il y a déjà le côté banal du camps déjà évoqué mais aussi la trivialité et la vie, il se passe des choses simples, dans des scènes assez longues, ce couple et ces enfants sont crédibles (même si on détaille peu les gosses) et c'est en plus très joli, toute cette fôret, cette rivière. Le vrai R.Höss était un homme de nature, il était aussi un homme normal. On ne peut sûrement pas le qualifié de bureaucrate (comme dirait Arendt), il était confronté à l'horreur mais il restait un homme. J'aime bien que le film "dénonce" le système qui rend fort l'individu plutôt que l'individu lui même, il était bien sûr responsable de ses actes, mais en était-il coupable ?
Le film est bourré d'ambiguïté, les gens qui habitant là ne pouvaient pas ne pas savoir, mais que pouvaient-ils y faire, tout le monde dans cette situation aurait fermé les yeux et tenter de vivre normalement (jusqu'à vouloir rester proche du camps, dans cette idylle factice), le système leur à imposer cette hypocrisie.
On sent dès le début qu'il y a un problème (par la couleur, le jeu et l'angle de cadrage), on voit les dégâts mentaux de l'idéologie nazie. Ce moment où je me rends compte que, quand Rudolf sort ses enfants de la rivière, ce n'est pas pour ne pas leur montrer les os, mais pour les laver est vraiment terrible...
Au moment où le film commençait à être "redondant", le transfert survient. A ce moment, les personnages gagnent en épaisseur. La vie paradisiaque était fausse à tous les niveaux, la femme de Rudolf n'est rien qu'une bourgeoise qui ne veut que conserver son petit quotidien, il n'y a pas d'amour entre eux, rajoutant une couche d'ambiguité et de crédibilité sur leur personnage.
Et puis il a ces quelques scènes de tension où ne se passe rien (la fête fastueuse, Rudolf qui descend les escalier, ferme les portes de sa maison). Je sens qu'il se passe quelque chose, je sens mon coeur battre mais je ne saurais pas l'expliquer.
Le film s'achève sur le retour de l'horreur au moment où on en est le plus loin. Rudolf doit retourner au camp et là son corps craque, lui qui a oublié son corps longtemps, l'idée d'y retourner le rattrape (moi qui suis Nietzschéen j'apprécie...) Et il y ces scènes dans le présent, je ne suis pas sur de leur but initial mais moi je le vois comme des scènes qui montrent enfin le camps, les résidus des déportés, Glazer ne se permet de faire ça qu'une fois l'horreur passée, on replace ce qu'on vient de voir dans le réel, on quitte le regard de la famille, une fois ce rappel fait, Rudolf qui descend les escalier reprend tout son sens, on voit le plan avec ce nouveau regard plus "objectif" (et pas le regard subjectif proche de Höss), le poids du nazisme pèse sur lui comme sur le présent.