En allant au cinéma l’autre jour pour voir Poor Things, je suis passé devant une affiche qui a attiré mon regard, d’abord par le fameux logo de la palme cannoise mais aussi par l’intrigante composition de l’image : une famille sur une pelouse bien verte, le tout écrasé par un ciel totalement noir. Premier contact.
Second contact, je tombe par hasard sur une vidéo YouTube de quelqu’un parlant de ce film, La zone d'intérêt, racontant qu’il est complètement incroyable, que c’est LE film dont tout le monde parlait au dernier festival de Cannes avec Anatomie d'une chute et que le réalisateur à fait seulement 4 films en une vingtaine d’année de carrière, tous plus étranges les uns que les autres. J’ai donc arrêté la vidéo au bout de quelques minutes me décidant d’aller voir ce film, ne connaissant qu’une bribe du synopsis (une famille nazi pendant la seconde guerre mondial), pour accueillir le film au mieux le jour du visionnage (c'est-à-dire avec le moins d’aprioris possible).
Troisième et dernier contact, une amie ayant vu le film avant moi de raconte « qu’il est bien intense », ça tombe bien, j’adore ressentir des sensations devant un film.
Attention, divulgâchages à partir de maintenant.
Le film commence donc par des crédits en lettres noires sur fond blanc, le silence s’installe, puis le titre du film en lettres blanches sur fond noir, flou, avec une musique bien oppressante, le titre s’estompant lentement dans le fond noir, l’opération s’étalant sur 5 bonnes minutes, l’ambiance est installé. Puis la première scène, une famille dans les années 40, sous un beau soleil, au bord d’une rivière bordée d’une végétation luxuriante et avec toujours une atmosphère étrange. J’ai tout de suite trouvé que quelque chose était perturbant, je ne sais pas si c’est les couleurs, le grain de l’image, le cadrage ou les jeux d’acteurs, mais pour moi cette simple scène était déjà impactante. On sent qu’il se passe quelque chose de mauvais avec cette famille qui profite de son dimanche en nature.
Je ne vais pas décrire le reste du film, mais pour résumer, on suit le quotidien d’une famille nazi pendant la seconde guerre mondiale qui a élu domicile dans une belle maison avec un beau et grand jardin fleuri, le tout littéralement collé au mur d’enceinte du camp de concentration d’Auschwitz, à une époque où son activité bas son plein, bien évidemment. Le père est commandant du camp de concentration, la mère est femme au foyer et les enfants vont à l’école et tout le monde vit leur meilleure vie comme si de rien n’était.
Et c’est ça qui est troublant avec ce film, voir des humains vivre normalement à quelques mètres de l’horreur la plus totale, et voir que c’est possible, pour nous humains, de vivre une telle situation (peut-être pas à long terme). Et le tour de force du réalisateur c’est que cette horreur n’est jamais abordée frontalement, elle est toujours en arrière-plan mais toujours présente, ce qui est d’autant plus glaçant. La seule vue des bâtiments au-dessus du mur et des cheminées fumantes nous font imaginer le pire. Le traitement des humains comme de vulgaires marchandises fait aussi froid dans le dos : 50 000 par-ci, 700 000 par là, optimisation, rendement, flux continu, Heil Hitler, etc. On ressent cette industrialisation macabre, ce que peut de films ont réussi à faire jusqu'à maintenant selon moi.
Le travail fait sur le son est également incroyable, le bruit ronronnant en continu de « l’usine », les cris des prisonniers, des nazis et les coups de feu sont oppressants.
Bref, plein d’autres critiques ont très bien décrit tout ça mais ce que je voulais partager aujourd’hui c’est que selon moi, ce film est aussi une critique de l’humanité et notamment de l’humanité contemporaine.
Nous cherchons tous à créer, entretenir et protéger « notre zone d’intérêt », autrement dit notre bulle de confort, notre appartement, notre maison, notre voiture, nos avions, notre appareil surpuissant collé à notre main. Et ce qui est effrayant, c’est qu’on le fait en s’en foutant royalement des conséquences de tout ça, on ne le voit pas et on y pense pas, exactement comme la famille dans ce film.
Combien d’êtres vivants sont morts à cause de l’exploitation du pétrole et de ses pollutions, de l’extraction de minerais pour nos supers batteries écologiques ? Combien de ouïgours emprisonnés, de chinois ou de bangladais sont morts pour fabriquer nos jolis vêtements tout neufs, téléphones, et autres objets confortables du quotidien ? Combien d’animaux, d’insectes, de plantes sont tués chaque jour pour notre zone d’intérêt ?
Et la fin du film est très réussi je trouve, on fait tout ça tranquillement, mais un jour toute cette merde et cette horreur jaillira et sera exposé publiquement.
Bravo au réalisateur, aux acteurs et toute l’équipe de ce film que je recommande vivement.