Voir le film

La Zone d'intérêt : cacher ce qui ne peut pas être caché.

Dans La Zone d'intérêt on nous invite à pénétrer le quotidien d'une famille allemande aisée. Mais pas n'importe quelle famille : le père est Commandant nazi des camps d'Auschwitz. Il s'occupe en partie, et avec une grande ambition, de construire des crématoriums toujours plus efficaces afin d'exterminer les populations juives. Beaucoup de hauts gradés nazis étaient mutés près des camps où leur était construit une maison pour vivre avec leurs femmes et leurs enfants. C'est l'espace dans lequel se déroule le film : la maison de l'autre côté du camp.

Avec la diffusion cette année sur Netflix du film de Mark Herman Le Garçon au pyjama rayé datant de 2008, le cinéma nous propose de découvrir une autre facette des camps : au cœur du quotidien des nazis qui les dirigeaient. Dans La Zone d'intérêt, ce point de vue est poussé à l'extrême car on ne voit presque jamais l'intérieur du camp. On peut néanmoins voir quelques éléments apparaître, comme le grand mur gris qui sépare les deux espaces ainsi que le haut des cheminés des crématoriums qui brûlent au loin. Les cheminées sont aussi visibles par la lumière rouge feu qui est en émane et qui est projeté jusqu'à l'intérieur des chambres de la maison lorsqu'il fait nuit. Au son, la présence des camps est particulièrement vivante, car on peut entendre à plusieurs reprises se mêler les échos des chants des oiseaux et les cris des victimes. Ce mix de deux ambiances sonores différentes créer un décalage et un choc entre deux mondes. Il y a quelque chose qu'on cache mais qui reste présent malgré tout, dont on ne peut pas totalement se débarrasser. Un travail sonore du hors champ subtil et percutant, qui a amplement mérité son prix aux Césars. On peut également remarqué que l'affiche du film a fait le choix de plaquer de noir l'espace qui est censé être celui du camp, ce qui à beaucoup de sens en conséquence de ce que nous raconte le film.

Contrairement au film Le Garçon au pyjama rayé où le personnage principal est un petit garçon allemand qui se sent profondément perturbé et concerné par ce qu'il se passe à quelques mètres de chez lui dans les camps, au contraire dans La Zone d'intérêt on fait comme si de rien n'était. Sauf quelques éléments suggestifs qui viennent très intelligemment nous ramener à la réalité (lorsque le jeune juif récupère les bottes du commandant pour les laver, et qu'on y voit du sang par exemple). Ces éléments ponctuels et très courts sont importants pour déceler la complexité de la situation. Car plus le film avance, plus on réalise la folie des personnages principaux.

La mère est avide de richesses, de possessions, elle n'est focalisé que sur l'évolution de son foyer et elle maltraite ses domestiques juives. On ne sait d'ailleurs pas vraiment si elle les maltraite car elle est profondément antisémite, ou bien car elle se doute que son mari couche avec ces femmes. La réponse pourrait aussi bien être : les deux. C'est un personnage très névrosé, constamment dans le paraître et le contrôle, mais qui souffre au fond d'un besoin de reconnaissance social énorme. On le comprend en voyant ses échanges avec sa mère qui nous révèle qu'elle ne vient pas d'un milieu aisé, et qu'elle n'aurait potentiellement jamais du être destiné à une vie comme celle là. C'est comme si elle nous disait : qu'importe les conséquences de ma vie, je suis chanceuse qu'on m'ai offert tout ça alors il est hors de question que je me pose la moindre question qui pourrait venir entacher ce tableau. Elle est la personnification du dénis, et l'incarnation des problèmes de toute une société de l'époque.

Le rythme majeur du film réside dans ses longueurs. Longueurs qui ne seront pas forcément appréciables par toutes et tous, mais des longueurs qui sont néanmoins justifiés. D'une part, elles s'expliquent par la mise en scène : celle-ci s'articule quasiment uniquement sur des plans larges et fixes. En un sens c'est intéressant car ça vient positionner le spectateur en témoin, il n'y a pas d'effets de caméra, on est réellement dans l'espace et on constate sans être manipulé. Mais d'un autre côté ça vient nous donner l'impression d'être face à une téléréalité, avec cette caméra intrusive qui nous met mal à l'aise. On est mal à l'aise parce qu'on a pas envie de vivre avec cette famille, on veut sortir d'ici, on veut aller de l'autre côté du mur, là où on nous empêche de poser le regard.

Les seuls moments où il y a du mouvement ce sont sur les travelling dans le jardin. La caméra vient diriger notre regard vers les personnages qui se déplacent dans le jardin alors que ce sont les seuls plans du film où on est vraiment face aux camps qui sont derrière le mur devant nous. La caméra nous transporte comme pour nous dire : ne regarde pas trop là où il ne faut pas, je vais t'amener vers le plus important : la petite vie de cette famille parfaite.

Cette opposition entre caméra fixe et caméra mouvement est d'autant plus justifiée quand à la fin du film on se retrouve projeter à la fois dans le temps et à la fois dans l'espace scénique lui-même : on atterrit au musée d'Auschwitz, à notre époque actuelle, dans un style documentaire, et assumé comme tel.

On vient nous dire : le film que vous voyez est un mensonge, cette famille est dans une illusion, et vous le savez très bien. Voyez la fiction, mais sachez que ce n'en est pas une, pas réellement puisque c'est tiré d'une Histoire vraie et bien vécue. D'ailleurs les structures du camp que l'on aperçoit sont de toute évidence entièrement créés en effets spéciaux, et ça se sent. Tout comme ces séquences en infra rouges où l'on suit cette petite fille polonaise qui distribue des fruits en cachette dans les camps la nuit. Ces séquences apparaissent très ponctuellement, sans réels contextes, avec une texture d'image différente, et un personnage qu'on ne connait pas. L'infra rouge est un effet spécial assumé qui accompagne le propos de manière très juste : l'infra rouge c'est ce qu'on est pas censé voir, c'est une vision nocturne qu'on ne possède pas, c'est une réalité invisible, c'est celle de cette petite fille qui est de toute évidence une résistante. C'est d'ailleurs l'unique moment où l'on rentre dans les camps, c'est en suivant cette résistante dans cet univers infra rouge.

Si on pousse vraiment la réflexion, c'est d'ailleurs intéressant d'avoir choisi l'effet infra rouge. L'infra rouge retire les rouges d'une image, pour y rajouter du vert et mieux y voir la nuit, là où la couleur rouge est davantage présente dans la lumière. Or, le rouge c'est la couleur du sang et de la violence. C'est aussi celle des nazis. Et on retrouve cette couleur rouge vers la fin du film, lorsque l'écran se recouvre entièrement de rouge. On y est finalement confrontés.

On ne voit plus que ça, on ne cache plus rien sous l'herbe verte du jardin. La nouvelle saison arrive, la neige tombe et les jolies fleurs vont faner, les mauvaises herbes seront arrachées.

La Zone d'intérêt c'est une piscine de sang au milieu d'un jardin, c'est un enfer sous des airs d'Eden, c'est essayer de cacher ce qui ne peut pas être caché.

Citwonelle
7
Écrit par

Créée

le 24 févr. 2024

Critique lue 225 fois

1 j'aime

Marie Watrigant

Écrit par

Critique lue 225 fois

1

D'autres avis sur La Zone d’intérêt

La Zone d’intérêt
PatMustard
3

Cannes-ibal Holocauste

La Zone d’intérêt débute par un écran noir de 5 minutes accompagné d'une musique assourdissante qui donne le dispositif du film : on ne verra rien mais on entendra tout. Le camp d'extermination...

le 19 janv. 2024

208 j'aime

9

La Zone d’intérêt
lhomme-grenouille
6

Limites de l’intérêt

Reconnaissons à Jonathan Glazer cela ; ce mérite d'avoir su trouver un angle nouveau pour aborder un sujet maintes fois traité.Parce qu’à sortir en permanence du champ ce qui est pourtant – et...

le 2 févr. 2024

84 j'aime

12

La Zone d’intérêt
Plume231
7

Derrière le mur !

L'introduction, avec un écran noir qui dure, qui dure, accompagné d'une musique stridente, annonce bien la couleur, La Zone d'intérêt est une expérience aussi bien sonore que visuelle. Ben oui, parce...

le 31 janv. 2024

70 j'aime

10