Raconter l'indicible sans le montrer, c'est le défi relevé par le réalisateur. Et il réussit!
Derrière les murs du camp d'Auschwitz, la famille du commandant du camp Rudolf Höss, époux modèle et papa câlin, se construit une petite vie bien tranquille, avec piscine et jardin paysager.
Rien ne filtre sur l'horreur qui se produit de l'autre côté du mur.
Mais quelques détails viennent lézarder cette Mélodie du Bonheur. Un mirador à l'arrière-plan. Des cris et des aboiements de chiens. Des cendres qui viennent tâcher les linges qui sèchent lorsque le vent tourne. La femme du commandant qui essaye un manteau en fourrure qu'elle n'a visiblement pas acheté, sans oublier d'en sonder la doublure. Les ménagères teutonnes qui racontent leurs découvertes de bijoux dans les tubes de dentifrice. Un commentaire abject de la maîtresse de maison à sa bonne, dont elle tient la vie dans ses mains. La visite de la mère, ancienne femme de ménage d'une femme juive, qui comprend que le national-socialisme ne s'est pas contenté de "prélever" les biens des Juifs et s'enfuit sans demander son reste.
La comédie du couple parfait explose lorsque le gentil papa fait venir une déportée dans son bureau, et quand sa femme, avide de revanche sociale et trop contente d'avoir construit son petit paradis vert à l'Est, refuse de le suivre lorsqu'il est muté vers d'autres cieux. Ce n'est pas dit dans le film, mais Höss sera dénoncé par son épouse après la guerre, avant d'être pendu.
Par touches pointillistes (la visite d'ingénieurs venus expliquer les possibilités d'améliorer le "rendement" - sans parler du "produit", la réunion des directeurs de camps qui ressemble à un classique conseil d'administration), Jonathan Glazer instille un malaise croissant chez le spectateur, sans une scène de violence.
Et on comprend à quel point le mythe aryen du "Qu'elle était verte ma vallée" était bâti sur l'effacement d'êtres humains.