C'est assez particulier, on pourrait même dire que ça a bien vieillit. C'est adapté de Vicki Baum par Jean-Georges Auriol et dialogué par Colette, le tout mit en scène avec une certaine ambition par Marc Allégret.
Ce qui frappe dans ce film et peut repousser quelque peu le spectateur contemporain, c'est le jeu à priori très théâtral des acteurs. Mais je ne peux m'empêcher de penser, au delà des conventions du cinéma de l'époque, qu'il y a quelque chose de l'ordre de l'intentionnel. Marc Allégret nous plonge en effet dans un univers quelque peu fantastique, très bien rendu par l'esthétique de ses plans sur le lac dans le brouillard.
Le film nous entraîne successivement d'un monde fantastique à un monde terre à terre, et le lac est la frontière entre les deux. Cela rappelle un peu Avalon. Quand le bel Eric (Jean-Pierre Aumont) va rejoindre son amie Puck (Simone Simon) sur son île, l'atmosphère devient en effet très théâtrale. On est dans un monde de féérie, un monde d'innocence. A l'inverse, quand il rejoint sa bien aimée (Rosine Deéran) de l'autre côté du lac, il se retrouve face au monde réel. Il doit faire face aux exigences d'homme d'affaire du père (Michel Simon) qui ne souhaite pas donner sa fille à n'importe qui. Sur cette rive du lac, c'est le travail, le rapport des classes sociales, la pauvreté.
Le personnage est intéressant car il est tant convoité par les femmes qu'elles finissent par l'étouffer, le blesser, le mener à sa perte (on ne sais pas si il va survivre à la fin, on nous en donne un vague espoir). Cette fois ci c'est l'homme qui n'est qu'objet de désir. Ce genre de renversement d'une trame classique ressemble bien à Colette.
Mais la révélation du film c'est sans conteste Simone Simon. Elle capture parfaitement les traits de la jeune fille innocente. Elle joue avec une telle profondeur, une telle sincérité qu'elle parvient à nous paraitre réelle dans sa théâtralité. Ma scène préférée du film c'est sa sieste dans l'avoine avec Aumont, où petit à petit on sent la naïveté de deux grands enfants s'échapper pour laisser place à l'attirance d'une femme vers un homme. Je ne peux que saluer Allégret pour le découpage de cette très jolie scène.
C'est un film à voir si on est réceptif à ce type d'ambiance, assez lente, assez fantasmagorique. Si on est tolérant vis à vis d'une certaine ancienneté très visible, "Lac aux dames" tient ses ambitions.