Avec Intolérable cruauté, Les frères Coen accusent un brutal passage à vide qu’on a tendance à faire coïncider avec une implication moins totale qu’au préalable dans leur création. Jusqu’alors, ils avaient étés scénaristes, producteurs, réalisateurs et monteurs de leurs films, alors que cet opus est une commande, un scénario qui tourne depuis longtemps dans les studios et qu’ils ont été amenés à retravailler. Il en est un peu de même pour Ladykillers, présenté comme un remake du film so british de Mackendrick et relifté dans une ambiance Mississipi et baptiste.
Les ingrédients habituels de leur cinéma sont évidemment très identifiables : un réunion de bras cassés, la planification d’un forfait qui va tourner au jeu de massacre, un pivot central (Tom Hanks) se distinguant par son raffinement culturel et langagier dans l’escroquerie, et une femme bien authentique et folklorique pour lui faire contrepoint.
Comment expliquer, dès lors, le sentiment de naufrage généralisé ? Probablement par cette embarrassante conjonction de la fatigue liée à ces ficelles déjà bien usées, et de la surenchère censée l’empêcher de prendre ses droits. Ladykillers est un film qui confond souvent le grotesque et le grossier, sans subtilité aucune dans les portraits des imbéciles qui composent pourtant une galerie d’une rare finesse dans le cinéma des Coen. Entre les pitreries vulgaires et gratuites de Marlon Wayans et les diarrhées de J.K. Simmons, on regrette avec amertume les loser au panache indiscutable des décennies précédentes. L’intrigue, très linéaire, ne surprend pas, et cette exécution en règle dénote une indifférence, voire une méchanceté à l’égard des personnages qui avait pu être reprochée auparavant, mais que la finesse de leur approche avait toujours déniée à l’analyse.
Bavard et gratuit, recourant facilement au remplissage, le film accuse donc une sévère baisse de régime. Mais, à bien y regarder, 15 ans plus tard, il marque surtout un pivot dans l’œuvre des frères : baroud d’honneur de la bêtise hystérique, rejouant sans inspirations les délires premiers d’Arizona Jr, il clôt une période pour en ouvrir une autre, moins fantasque, plus posée, plus intense (même si le plaisir pour la bêtise reviendra occasionnellement avec Burn After Reading ou Ave César), qu’ouvrira le diamant noir No Country for Old Men.