Pour un cinéphile aussi habité que Bertrand Tavernier, on ne pouvait imaginer qu’au moins un de ses films n’aborde directement le sujet du cinéma. Laissez-passer le lui permet, dans une dimension nostalgique et d’historien qui sied tout à fait aux différentes missions qu’il a accomplies aux marges de sa création. C’est aussi l’occasion de livrer une mémoire nécessaire sur une période bien trouble du septième art national, à savoir la production sous l’Occupation allemande dans la fameuse société Continental-Films.


Le cinéaste, qui a pour coutume de se documenter copieusement, bénéficie ici de témoignages de première main : par le lien direct qu’il établit avec Jean-Devaivre, lui relatant ses souvenirs d’assistant réalisateur de Maurice Tourneur, et avec Jean Aurenche, scénariste avec lequel il a travaillé dès son premier film, L’Horloger de Saint Paul – ainsi que Pierre Bost, tous deux formant le fameux duo de scénaristes conspué par Truffaut dans son mémorable article sur « Une certaine tendance du cinéma français » en 1954.


Laissez-passer est autant un film sur l’occupation que sur le cinéma : la plantureuse reconstitution (c’est le plus gros budget alloué à Tavernier, avec le record de 115 rôles parlants) évoque dans le détail la peur, les restrictions, le marché noir et le troc, les bombardements et l’attente angoissée de lendemains meilleurs. L’articulation avec la création artistique permet de mêler les enjeux, la Continental devenant l’épicentre de questions éthiques (doit on continuer à tourner sous pavillon allemand ?), de bricolages économiques, d’enjeux idéologiques (la représentation syndicale et ses diverses lignes) ou de voies de traverse vers la Résistance.


C’est bien entendu l’occasion pour Tavernier de certaines mises au point, le cinéaste prenant soin de réhabiliter ceux qui furent unanimes considérés comme collaborateurs, de Tourneur à Clouzot, par le biais d’une déclaration d’amour au cinéma et à la passion de ceux qui contribuèrent à son maintien. Sa tentation pour le didactisme, déjà coutumière de son écriture, est évidement présente ici, mais n’occulte pas pour autant la tendresse qu’il a pour ses personnages, le plaisir avec lequel il filme les studios, le matériel des années 40 et la fourmilière des équipes techniques. Si le récit est très long (2h45), il sait ménager son rythme lors d’une escapade à vélo, en train, en avion et en parachute qui insuffle une aventure tout à fait bienvenue, et dans laquelle l’humour tient une bonne place (« un film dramatique où on ne rit pas est un film qui a avalé son parapluie », déclare-t-on), humour qu’on retrouve aussi dans la vie sentimentale d’Aurenche, qui passe son temps à déménager d’une conquête à l’autre avant de conclure : « elles me font chier, les femmes et les valises ». Le caractère original de Podalydès et la modestie naturelle de Gamblin nourrissent à la perfection la figure de héros à dimension humaine, dans un récit où les femmes, actrice coquette ou épouse de l’ombre, prostituée courageuse ou conquête dévouée, occupent une place essentielle.


Tavernier, comme dans un certain nombre de ses films, prendra la parole sur l’épilogue, en son nom, comme un passeur lui-même impliqué dans l’aventure jamais interrompue de la création cinématographique. Il rejoint ainsi avec fierté ses illustres ancêtres qui se définissaient comme « ni plus ni moins que des faiseurs d’histoire ».

Sergent_Pepper
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le 22 avr. 2021

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