Le film Laissez-passer avait sa pleine place en projection à Orléans en ce mois de novembre pour fêter le cinéma et saluer la mémoire de Jean ZAY assassiné par la Milice de Vichy. Il saluait ceux qui ont fait ce qu'il faut quand les autres ne pouvaient pas.
La vieille garde était là. L’oeil vif malgré les premiers frimas de l’automne finissant. Chapeautée, emmitouflée parfois munie d’une canne pour presser le pas. Bon pied, bon œil, dès neuf heures du matin, galopant entre le théâtre de la ville et le cinéma des Carmes jusque tard dans la soirée, la vieille garde orléanaise, fièrement soutenue par quelques renforts accourus d’ailleurs, était là, pour honorer le cinéma et saluer la mémoire de Jean Zay.


Née en 1932, la Mostra de Venise ou encore Mostra internazionale d'arte cinematografica di Venezia était sans doute la première grande manifestation internationale du cinéma. Les plus grands films y avaient été présentés, mais en 1938 la fête était finie. Les fascistes avaient mis la main sur le festival et ce sont Les dieux du stade de Leni Riefenstahl et Luciano Serra de Goffredo Alessandri, deux films de propagande qui furent primés.


Jean Zay, ministre de l'Education Nationale et des Beaux-Arts du Front Populaire, porte sur les fonts baptismaux une alternative à la Mostra désormais sous contrôle fasciste. Le premier Festival du Cinéma de Cannes associant le cinéma des pays non fascistes et s'arrimant à la démocratie doit se tenir en 1939. Le 1er septembre de cette année l'Allemagne nazie et son allié, l'Union soviétique, envahissent la Pologne. Trois jours après la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l'Allemagne et le premier Festival de Cannes n'a pas lieu. Il ne verra le jour qu'en 1946.


Tous les protagonistes de cette époque avaient une conscience aigüe que le cinéma pouvait être non seulement du théâtre en boîte fait pour amuser et distraire, mais aussi une redoutable arme pour asservir les esprits. Goebbels en a fait une arme de guerre idéologique dont Le juif Süss a été le sinistre fleuron. L'Italie de Mussolini et l'Union Soviétique n'ont pas été en reste.


1939-2019 : 80 ans après, le Cercle Jean Zay d'Orléans, soutenu par ses filles Catherine et Hélène, a organisé en cette ville le Festival de Cannes de 1939 qui avait été annulé à la dernière minute. Sur les 30 films sélectionnés en 1939, 29 ont pu être présentés pendant cette semaine du 12 au 17 novembre 2019, ils sont accompagnés de quelques autres en éclairage d'une époque et de neuf leçons de cinéma avec des réalisateurs et des auteurs.


Jean Zay a été arrêté, jugé pour trahison par Vichy en 1940, emprisonné pendant des années puis assassiné sur ordre par la Milice en 1944. Il est entré au Panthéon en 2015 en même temps que Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion et Pierre Brossolette. Tous ceux qui étaient présents cette semaine à Orléans avaient cela en mémoire.


Le cinéma a encore de beaux jours devant lui, même si la moyenne d’âge des amoureux du 7ème Art ne semble pas baisser. La relève toutefois se dessine avec les classes-cinéma des lycées et les efforts mille fois répétés des professeurs. Assurée, même si nous l'aimerions plus piaffante, plus impatiente à s'emparer du flambeau. Vendredi dernier à neuf heures dans le tramway de la ligne A d’Orléans, une petite fille à qui il manquait une dent de devant probablement dérobée par la petite souris, devant mon interrogation sur ce qu’elle faisait là alors qu’elle aurait dû être en classe, me répondit avec conviction : « Mais je vais à l’école, au cinéma les Carmes ». Jean Zay, peut-être tout là-haut, a certainement souri.


Freddy Klein
De Jean Zay
Jean Zay, Écrits de prison 1940-1944, Paris, Belin, 2014
Jean Zay, Souvenirs et solitude (préface Antoine Prost), Belin poche, 2010


Sur Jean Zay :
Olivier Loubes, Jean Zay : L'inconnu de la République, Paris, Armand Colin, 2012
Pascal Ory et Olivier Loubes, Jean Zay (1904-1944) : Le Ministre assassiné, Paris, Tallandier, 2015
Jean Zay et la gauche du radicalisme, sous la direction de Antoine Prost. PRESSES DE SCIENCES PO, 2003


Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay au Panthéon. Textes de Olivier Loubes, Frédérique Neau-Dufour, Guillaume Piketty et Tzvetan Todorov, 2015


Autour de Jean Zay, du cinéma et de l'époque :
Olivier Loubes, Cannes 1939, le festival qui n'a pas eu lieu, Armand Colin, 2016
Christine Leteux, Continental films, cinéma français sous contrôle allemand (préface Bertrand Tavernier), La Tour Verte, 2017


Et Laissez-passer, film de Bertrand Tavernier, 2002.

Freddy-Klein
9
Écrit par

Créée

le 18 nov. 2019

Critique lue 274 fois

1 j'aime

Freddy Klein

Écrit par

Critique lue 274 fois

1

D'autres avis sur Laissez-passer

Laissez-passer
pphf
8

Et pourtant on tourne

La confusion, l’absence de cohérence auraient pu guetter : • un film historique, sur la grande histoire, celle de la France très trouble sous la collaboration, d’une part ; d’autre part un film...

Par

le 22 mai 2015

21 j'aime

2

Laissez-passer
Val_Cancun
8

Des hommes très Occupés

Un bonheur lorsqu'on est cinéphile et qu'on s'intéresse à l'époque de l'Occupation. En revanche, ceux que laisse froids le cinéma français des années 40 seront sans doute fatigués par le name...

le 12 janv. 2020

8 j'aime

4

Laissez-passer
Boubakar
8

Laissez passer le cinéma.

Œuvre ô combien complexe à concevoir au premier abord, de par la multiplicité des personnages à l'écran, Laissez-passer raconte la période de l'occupation par le prisme du cinéma, en particulier par...

le 27 oct. 2017

7 j'aime

3

Du même critique

Papicha
Freddy-Klein
9

Critique de Papicha par Freddy Klein

Les mustangs sont indomptables. Nedjma, 18 ans, étudiante, se faufile le soir à travers le grillage qui entoure sa cité universitaire. Elle rejoint une amie pour se rendre dans une discothèque huppée...

le 24 mars 2023

43 j'aime

6

L'Appel de la forêt
Freddy-Klein
1

Critique de L'Appel de la forêt par Freddy Klein

Quand l'écran s'est éteint et quand la lumière est revenue, j'ai vu au fond de la salle Jack London adossé à un mur. Son beau sourire n'illuminait plus son visage et je vis une larme couler sur sa...

le 20 févr. 2020

27 j'aime

7

Des hommes
Freddy-Klein
7

Critique de Des hommes par Freddy Klein

Les hommes allaient à la guerre, de gré ou de force. Les mères et les sœurs attendaient leur retour quand eux-mêmes rêvaient de la quille.La guerre d'Algérie qui n'a pas voulu dire son nom, et qui...

le 5 juin 2021

18 j'aime

3