À rebours du schéma préconçu et installé depuis Jaws, Lake Placid premier du nom fait du film de monstre un spectacle et de son crocodile l’attraction principale autour de laquelle gravitent, pour notre plus grand plaisir, des acteurs aux prestations clownesques et géniales. Car la grosse bébête n’est qu’un épicentre, symbole d’un lieu – le lac, motif romantique par excellence – où vont se retrouver des cœurs perdus, des fortes têtes, une lutte des classes et des genres, une guerre des milieux (rural / urbain). Très drôle, le film cultive un second degré mordant et parvient à générer un équilibre subtil entre rire et horreur, posture complexée d’un nageur en eaux troubles et décomplexée d’un faiseur de blagues autour du feu de camp. Car tout dans Lake Placid est une question d’équilibre : les forces en présence doivent cohabiter et s’entendre, la nature doit conserver l’un de ses piliers (aussi dangereux soit-il) sans quoi elle risquerait de se dérégler. Le crocodile se mue aussitôt en vétéran, en mémoire d’un passé qui dépasse largement les protagonistes en présence à protéger comme l’espèce en voie de disparition qu’il est. S’installe alors une réflexion menée en sous-texte et somme toute assez fine sur la légitimité d’un monstre à exister et à vivre à sa guise, sur la propension de l’homme à tuer ce qui le mettrait en péril. D’où le compromis drolatique et intriguant de changer le monstre en objet de curiosité voire de culte, mi bête mi divinité, capable de juger la bonté d’un être à la manière du bras armé d’une mythologie. Là où, d’ordinaire, le monstre est traqué et tué pour rétablir un semblant d’équilibre, Steve Miner se focalise sur la bêtise autodestructrice de l’homme, s’intéresse aux monstres en chacun de nous, passions, peines et rivalités. Peu calme, le lac… Une œuvre surprenante donc, aux effets visuels saisissants et à l’horreur diffuse, qui assure le spectacle tout en proposant autre chose que le schéma ordinaire du film de monstre. Fort divertissant, fort drôle, fort intelligent.