Reconstitution grinçante.
Charles Denner était une très bonne idée pour incarner Landru. Il prend ici une voix grave, parfois rocailleuse, souvent suave ou insinuante. Sa manière de trifouiller dans son poêle ou de conter fleurette en jouant sur des équivoques dont ses victimes ne se rendent pas compte est particulièrement savoureuse.
Au niveau esthétique, le film est en demi-teinte. Je dois dire d'entrée que je viens de voir le film à la Filmothèque du Quartier Latin, dans une copie vieille, où les teintes viraient au marron. Je ne sais toujours pas si c'était le parti pris de Chabrol ou la copie qui était mauvaise... Bref, beaucoup de scènes, dans la première partie du film, présentent les personnages dans des pièces qui font très studio : on pense au Kammerspiel des années 1930, ou encore au muet. C'est assez réussi. Il y a aussi plusieurs plans d'une ironie macabre, comme ces souliers de femme qui flottent comme des barques, et bien sûr la fumée qui sort à intervalles réguliers de la cheminée, incommodant le vieux couple anglais voisin. Cependant la réalisation reste inégale : Chabrol ne s'est jamais fait remarquer pour ses talents de styliste, et si la photographie est belle, parfois l'enchaînement d'un plan à l'autre est un peu heurté (je pense notamment au procès, qui commence d'ailleurs par une saute assez violente).
Les dialogues sont savoureux, bourrés de blagues macabres du style :
"- Occupez-vous bien de ma fille, monsieur !
- Oui madame, jusqu'à la fin !"
Toutes ces répliques de Landru, notamment pendant son procès pour faire rire l'auditoire, sont mémorables, mais le film joue sur deux plans, celui de la comédie grinçante et celui de la reconstitution fidèle.
La première partie, où l'on voit comment Landru séduit ses proies, est plutôt comique. Les assassinats ne sont jamais montrés (Chabrol se permet différentes variations, pas toujours subtiles mais efficaces). Mais peu à peu le récit laisse voir le monstre derrière le séducteur jovial. Un point intéressant, c'est que Landru n'est pas hanté par certaines de ses victimes en particulier, mais par le fait qu'il est contraint de continuer à tuer pour entretenir sa famille et sa maîtresse (la sublime Stéphane Audran). Rappelons en effet que Landru ne tuait qu'après avoir obtenu une procuration bancaire de ses victimes, en général des veuves ou des orphelines de guerre. Bref, au final le spectateur a un peu honte d'avoir ri aux blagues de Landru, quand il réalise de quel monstre il s'agit. C'est assez finement vu.
Reste l'aspect reconstitution. L'enquête policière n'est guère palpitante, elle se borne à une scène de filature, une arrestation et une perquisition. Puis vient le procès, bien joué mais que je trouve bizarrement monté. Quant à la diction et au côté surrané de ces pauvres filles qui se laissent embobiner, je trouve qu'on a droit à une reconstitution de la Belle-Epoque très crédible. Au point que les images d'archive de la Première Guerre Mondiale, insérées un peu à la diable, sont presque inutiles, car elles coupent un peu la tension du récit.
On a là un film attaché à servir son sujet, sans verser dans un genre particulier (comédie, enquête policière, film à procès). On en ressort avec une impression de malaise. Plus que d'autres, ce film mérite le qualificatif de "grinçant".