Le primate héroïque contre l'Amérique des coincés du cul : l'avant-gardiste émouvant

Milos Forman est un cinéaste surtout connu pour ses biopics ou portraits de ‘freaks’. Son Larry Flint se situe qualitativement très en-dessous de Man on the Moon et évidemment d’Amadeus, ou encore du sacro-saint Vol au-dessus d’un nid de coucou. Il parvient cependant à terrasser celui-ci dans le domaine de la démagogie. Comme dans celui-ci, cette démagogie est mise au service d’un être relativement malsain. Alors qu’on ne savait rien du passé de Jack Nicholson, les lubies de Larry Flint sont ouvertement obscènes. En effet, le film est la biographie du producteur de l’industrie du porno le plus fameux de l’Histoire des Etats-Unis


Tous les deux ont cependant un grand mérite présumé, en tant que combattants de la liberté. Pour Nicholson/McMurphy, c’était la liberté face à un système autoritaire ; pour Larry Flint, c’est la possibilité d’être un déchet, de polluer son environnement, la société à laquelle il ne reconnaît pourtant aucune existence mais également certains individus précis. Larry Flint pousse l’idée que « les vices ne sont pas des crimes » à un point de rupture, non en allant vers la banalisation de sombres perversions, mais en permettant à un pitoyable histrion de faire de sa médiocrité l’expression la plus intransigeante de la liberté.


Milos Forman réserve un traitement extrêmement classique à son sujet. Les processus habituels sont là : le choc, la montée et le succès, les excès, le déclin mais le bonheur puis la rédemption. C’est exécuté avec classe et ça n’apporte rien, aucun supplément. L’espèce de dissonance perpétuellement ressentie avec ce classicisme tient à la nature du héros. Loin de l’ivresse sarcastique du Loup de Wall Street, Larry Flint n’a jamais d’apogée, ni de période faste ou heureuse, finalement ; et il ne tourne pas non plus à l’hagiographie, le point de vue relevant de la tendresse malvenue.


Dans les rares moments d’extase pure et donc surtout au début, tout cloche déjà. Aucune structure morale, soit, mais aucun cap, rien, une vitalité grasse, confuse. Tout n’est que laideur et bêtise, avec cette dimension libérée et ‘pro-sexe’ crétine mais passablement rafraîchissante, gentille. L’empathie de Forman pour son Larry Flint est évidente et il a toujours adorés les personnages hors-normes quitte à ce qu’ils soient monstrueux. Cependant son affection tourne à la béatitude et sa sensibilité se focalise sur un pourceau qu’il passe son temps à victimiser. Le titre originel de ce biopic sur un mal-aimé pourtant si innocent, à sa façon, est The People vs Larry Flint.


Par conséquent, Forman passe son temps à flatter Flint et ne met en relief sa vulgarité et sa laideur que pour le rendre plus pathétique. C’est un gamin formidable s’attaquant à un monde trop rigide et punitif, foncièrement plus toxique que lui en raison de tous les interdits et des poids moraux qu’il fait peser. La disposition est courageuse en effet au départ, mais bientôt Flint dérange parce qu’il répugne et se comporte comme un délinquant : or Forman s’obstine à faire de Flint un héros passant son temps à faire secouer les lignes, avec bonhomie et certes, quelques côtés minables tellement inoffensifs. Il mise avec lui sur l’opposition sexe/violence pour indiquer qui est vraiment sale ; cela marche un temps, l’adolescence ne peut durer perpétuellement.


Forman coule avec son minable héros. Aveuglé par sa tolérance, il ne réalise pas la bêtise de sa plaidoirie. Concrètement, sa victime Flint n’est jamais vraiment harcelée : il a des démêlées avec la justice dans un premier temps en raison de son activité de pornographe ; mais par la suite, toutes les affaires le concernant sont provoquées par ses comportements. Et l’indécence dont il est alors question ne concerne plus la sexualité, mais le droit de ses concitoyens. Ce n’est pas étonnant de la part du réalisateur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, dont la conception du civisme est bien étrange puisque totalement sous le joug d’une indulgence aveugle et dévoyée.


Par ailleurs, Forman ne s’intéresse pas un seul instant à cette fortune accumulée par Flint, à la tête d’un empire alors que ses qualités humaines et créatives (pour le Flint du film encore une fois) sont celles d’un primate médiocre tel qu’Homer Simpson est censé l’incarner. Enfin, le monde est un endroit décidément bien paisible et accueillant : lorsque Flint révèle des dossiers compromettants le FBI est : mécontent. A-t-on vu de véritables menaces pour un quelconque establishment rendre ce dernier : mécontent ? Forman se contente de jouer avec cela pour renforcer la dimension héroïque malencontreuse de sa mascotte.


Flint ne cache pas cependant les mauvais effets sur Larry Flint et son amante de leur ‘hédonisme’, quoique qu’il trouve un masque. Pour elle, si la dégradation physique est certaine, le coup fatal revient cependant au Sida. Pour lui, la tentative de meurtre et l’handicap en découlant sont responsables de sa désintégration – qui consiste à rendre le personnage plus ouvertement tyrannique et puéril qu’avant. Ému par les farces de son gamin, Forman ne pourra s’empêcher de lui donner une victoire éthique en guise de happy end. Pauvre petit candide, si aimable mais impuissant à exprimer posément son idéalisme terrien au monde extérieur.


À son meilleur, Larry Flint est un brouillon de Man on the moon, où Jim Carrey campe un troll horrible, en maîtrise totale de sa nullité – pas médiocrité, nullité, au point de faire de cette nullité une pose subversive car le contexte est généralement bien choisi. Woody Harrelson ne joue au contraire qu’un blaireau sans recul, à côté duquel Mickey de Tueurs nés était un rebelle visionnaire – d’ailleurs c’était bien un philosophe en action, quelque soit son niveau.


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le 28 janv. 2015

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