Exercice étonnant qui consiste à mêler deux portraits à des niveaux disparates, d'une part celui d'une petite fille en proie à des questionnements existentiels extrêmes (comme peuvent l'être des enfants de huit ans à l'imagination un peu trop débordante) et d'autre part celui d'un pays, le Pérou, allié à une époque, les années 80, qui ont vu émerger des conflits armés violents provoquant des dizaines de milliers de morts sur deux décennies.
La toile de fond se révèle progressivement, surtout pour quiconque ne maîtriserait pas l'histoire péruvienne récente ou ne saurait pas dans quelle mesure le Sendero Luminoso pris la tête de l'insurrection armée (une idéologie affiliée au marxisme-léninisme-maoïsme) issue d'une dissidence du parti communiste. Mais le premier plan n'est pas celui-là, c'est plutôt un récit d'apprentissage précoce chez la jeune Cayetana, terrorisée par plusieurs événements familiaux comme le divorce de ses parents et l'arrivée d'un petit demi-frère. Rosario Garcia-Montero se place à la hauteur de cette protagoniste et nous fait part de ses pensées secrètes, qui tournent autour de paris constants qu'elle se fait à elle-même, calqué sur le principe "si j'arrive en haut de la coline, mon amie ne mourra pas de sa maladie" — avec le corollaire teinté d'innocence noire enfantine : "si je n'y arrive pas, bye bye mamie". Sa hantise la plus vigoureuse qui s'enracine dernièrement : elle est convaincue qu'elle mourra le jour où son frère naîtra.
"Las malas intenciones" joue principalement là-dessus, sur ce registre de confrontation entre son imaginaire bouillonnant, foutraque, excessif, puéril et donc sans barrière morale, et la réalité des choses, le monde des adultes, ses contraintes, etc. En marge de ces aspects, le film est assez lourdement parsemé de symboles renvoyant aux multiples luttes de classes qui structurent la société, et qui sont matérialisés au travers de la situation (très favorisée) de la famille de Cayetana : il y a toujours une femme de ménage ou un chauffeur non loin, et c'est dans la voiture de ce dernier que les antagonismes sont le plus souvent suggérés. Elle pense faire une bonne action en donnant une pilule coupe-faim à un sans-abri, elle refuse d'avouer que c'est elle qui a volé de l'argent dans le portefeuille de sa mère et ne bronche pas quand la femme de ménage est renvoyée... À l'image de ces rapports bancals à la réalité, le film abonde (entre autres choses moins intéressantes) en direction de ces tempêtes internes.