Le drag. Son imaginaire de paillettes, de fête et de joie, autour du travestissement… Pour son premier long-métrage, la réalisatrice et scénariste Coline Abert, le regard assurément lesté de gravité par le souvenir de ses études de philosophie à La Sorbonne, nous livre un documentaire fascinant, dicté par sa rencontre avec Vinsantos DeFonte, icône Drag Queen qui a débuté sa carrière dans les années 1990 à San Francisco, puis s’est établi à La Nouvelle-Orléans, où il a fondé sa propre école, « L’Atelier Drag de la Nouvelle-Orléans », dans le but d’y transmettre son art.
Dès la séquence d’ouverture, la jeune réalisatrice, secondée au scénario par Théo Eliezer, explore le décalage dans son abord de l’univers drag. Muettes et par moments légèrement ralenties, les images sont nimbées d’irréalité par la très belle musique du compositeur Casual Melancholia, qui joue ici sur un glockenspiel. Nous parviennent quelques éclats d’une parade nocturne de Mardi-Gras, entre scintillements et transparences de tulle. Vince y est la Queen, en Lady Vinsantos altière, promenée dans un char vert, mais confie malicieusement au micro qu’il « meurt de faim » et rêve d’un burrito. La photographie, magnifique, de Paavo Hanninen, nous emporte vers Noël et la magie de l’enfance.
La même délicatesse, la même nostalgie vont escorter l’ensemble du documentaire, qui s’attache aux pas de Vince et le présente aussi bien dans son quotidien que donnant des cours dans son Atelier et partant à la découverte de nouveaux élèves qui deviendront comme ses enfants, ou bien montant un nouveau projet artistique, soutenu par son mari, le solide et souriant Gregory Gajus. Car Vince est cueilli à un moment clé de son existence, le franchissement de la cinquantaine, qui le conduit à supporter de plus en plus difficilement son personnage de Lady Vinsantos, par lequel il se sent accaparé, dévoré, et dont il souhaiterait se défaire ; ce qui aura lieu, en un feu très symbolique. Mais auparavant, Vince souhaiterait mener à bien un dernier rêve, accomplir un dernier phantasme : créer et donner un spectacle à Paris. Le documentaire sera tout entier tendu vers la réalisation de ce projet, qui lui offrira comme sa colonne vertébrale.
Le film doit sa force et sa séduction à ses choix de réalisation, toujours dictés par une grande subtilité, mais aussi au personnage même de Vinsantos DeFonte, homme tout à fait viril à la ville, tout comme son robuste conjoint, mais chez lequel affleure rapidement une complexité énigmatique. Son humour sur lui-même, son détachement élégant, la cruauté impitoyable du regard qu’il porte sur son personnage féminin, se désolant et s’exaspérant des nombreux plis qui, l’âge venant, strient son cou, font de lui un être éminemment attachant, éminemment humain et, au bout du compte, éminemment semblable à tous les autres ; du moins à ceux qui sont supportables ou méritent le détour ! Grâce à lui, le drag ne risque plus de se retrouver scruté comme un phénomène bizarre et nous devient infiniment proche, comme si, simplement, il s’agissait de pousser un peu plus loin qu’à l’accoutumée les limites de l’exploration de soi, de s’aventurer avec un peu plus de témérité dans la découverte des différentes facettes qui composent un être humain. On apprend ainsi que le travestissement en drag queen n’est pas réservé aux hommes et que certaines femmes peuvent prendre plaisir à se métamorphoser en sur-femmes, en hyper-femmes.
Mais, quelles que soient les échappatoires choisies, la confrontation à l’âge, au temps qui passe, à la perte des siens, au sens donné à l’existence, ne manquera pas d’effectuer un retour vengeur. Ce caractère si profondément méditatif pare d’une nostalgie bouleversante la grande beauté des images, qui en deviennent comme autant de vanités, et confère à ce documentaire en apparence centré sur la superficialité du fard une portée véritablement métaphysique.