En ce moment je lis un bouquin sur la prétendue mort du cinéma (La fin du cinéma ?, de André Gaudreault et Philippe Marion). Datant de 2012, l'ouvrage s'interroge déjà sur l'omniprésence des écrans, la fin du 35mm et sur la vrai questions qui n'est pas tant à savoir si le cinéma va mourir mais Qu'est-ce que le cinéma ? (spoilers inclued)
Vaste question, j'ai pas fini le bouquin et flemme de disserter sur netflix et toute les autres horreurs de notre siècle. Mais s'il faut bien reconnaître que clamer la mort du 7ème art quand celui-ci se retrouverait détourner des grandes salles à quelque chose d'un brin bourgeois (comment ça tout le monde n'a pas les moyens/temps/salles pour regarder un film de 3h en vost imax ?) le débat à au moins le mérite de faire ressortir les fondements même de ce médium qui au travers de toute ses mutations a conservé son essence.
Et la plus évidente, c'est bien sur celle de l'illusion.
On va s'éviter tout un paragraphe sur les gens qui ont eu peur devant l'arrivée du train en gare, les plages désertes après la projection des dents de la mer et plein d'autres plus ou moins vraies anecdotes pour se concentrer sur l'essentiel, le cinéma suspend notre incrédulité. Que ce soit sur 5 minutes ou 2h30, les métrages nous transportent dans des mondes, nous font croire à des réalités, stoppent le temps (ou l'accélère (ou le rambobine (ou etc))). Ce n'est ni universel avec pour exemple les documentaires même si là aussi il y a montage donc travestissement de la réalité ni propre au seul cinéma mais voilà, quand il le fait bien, l'art vidéo (puisqu'il faut bien le renommer) le fait le mieux.
Et ce n'est peu dire que la question de la réalité, du mensonge et toute la tension que cela peut suggérer est devenu un de mes petits kinks personnels. Je sors à peine d'une projection du film Border Line qui comme Reality un an auparavant maintient le lecteur en haleine sur la question de la prétendue culpabilité de l'héro•ine•s à travers le montage, les dialogues et des histoires à twists. Mais mon meilleur exemple sur le sujet reste The Invitation qui pousse l'exercice à son maximum en occupant les 9/10ème de la bobine (sic) avec un doute puissant. Le personnage principal est malade de suspicion quand à la nature de ses hôtes. La soirée est-elle un piège ? Bien loin des œuvres plus ou moins heureuses d'un Shyamalan, The Invitation joue avec notre envie de voir les doutes fondées, de voir le dîner partir en sucette et donc de voir une bad end. C'est que le cinéma et ses aficionados ont grandi et même si les projections tests peuvent encore prouver une tendance du grand public de vouloir une conclusion heureuses, nous sommes toutes et tous devenus des fans de drama, comprenant que par les obstacles et les ennuies arrivent les histoires épiques, que le bonheur de fin se mérite uniquement par tout ce qui l'a précédé de mauvais.
Late Night with the Devil joue donc avec nos attentes. Et elles sont deux car non content de vouloir voir effectivement ce que ce late night show va avoir de démoniaque on veut aussi voir comment le film va s'amuser à nous faire croire que nom et à tirer la corde un maximum. Et le sujet de la télévision est tout trouvé. Car oui, si le cinéma peut nous mentir, son rejeton la télévision nous ment en direct, avec des figures qui appartiennent presque à notre quotidien, sur un écran bien plus petit, qui nous demande de bien plus nous rapprocher...
La télé est du cinéma, au sens littéral comme figuré et les états-unis comme d'habitude sont arrivés au bout de cette réflexion. Leur télévision est malade, ultime société du spectacle qui ne peut plus se regarder en face (ou alors trop) et qui n'obéit qu'à un vrai dieu : l'audimat.
Jack Delroy sera donc de ceux-là. Un animateur en quête de la première place, qui tente tout, le vulgaire, le sensationnel mais la télé américaine a faim, de toujours plus.
Le film nous explique habilement par son introduction que tout est affaire ici de manipulation que rien n'est vrai mis à part les chiffres. C'est d'ailleurs amusant pour un film qui se cache à peine de son faux grain d'image, une émulation d'un autre temps car même si le film aurait pu nous être contemporain il sera un peu question de la peur du satanisme dans les USA des années 80 et aussi parce que c'est toujours cool de faire un film qui se passe à cette époque là. Et aussi parce que quand on est fauchés ça cache plein d'effets spéciaux mais breeeeeeeeef.
Cette introduction est malheureusement vite gâchée par d'autres inserts de moments "off" là où le film n'aurait du être qu'ensuite la stricte diffusion du show. Ces scènes en noir et blanc n'apportent pas grand chose à part nous expliciter un malaise déjà palpable, des éléments de scénarios devinables (on entend une ambulance, pas besoin de dire que le boug est mort) et rajouter un peu de corps à ce qui ne pourrait être qu'une vidéo Adult Swim de bonne facture. Sauf qu'Adult Swim assume ses idées, son parti pris radicale et des formats qui ne feront pas l'unanimité mais qui font sens. N'importe lequel des épisodes du Eric Andre Show sont bien plus anxiogène, atrocement drôles et complètement fous. On devine tout ce qui peut se passer derrière mais on ne veut pas le voir, on ne doit pas le voir, le show existe car comme à la télé il n'y a que le show. LNWTD veut faire vrai film, comme si juste le late night show n'aurait pas suffi. Comme si d'habiles regards gênés n'étaient pas assez pour comprendre que l'équipe n'est pas à l'aise. Je vous l'avais dit, le cinéma nous ment, mais ne le fait pas toujours assez bien.
Reste donc la question principale de si quelque chose de dramatique va arriver. Fort de sa petite heure et demie le film se joue plutôt bien de nous à ce niveau-là, c'est encore une fois bien meilleure dans la première partie, dans l'attente des dernières invitées et dans tout les petits indices semés mais la présence de Carmichael permet de toujours en revenir à un debunkage de la fiction. Malheureusement comme la plupart des films qui reposent sur l'attente d'une confirmation ou non de l'impossible le film doit bien trancher à un moment. C'est d'autant plus compliqué quand le réalisateur s'amuse à nous faire des pranks et contre pranks en permanence. Possédée, pas possédée, fatalement quand le film doit choisir la première option comme résolution il faut mettre le paquet histoire que le•e spectateurice n'ait plus aucun doute. Oui cette fois-ci regardez l'avalanche de sang d'effets spéciaux et de cris, tout était vrai, vous avez douté et serez punis. Ça décevra forcement pas mal de monde mais toute autre mise en scène aurait laisser le doute, ce que ne voulait surement pas les réals (et dommage vu le propos et le thème).
Alors tout les autres thèmes paraissent un peu moins reluisants, la course à l'audience moins passionnante que dans Nightcall, le deuil bien plus en surface que dans... ben dans chiée de films, le satanisme comme antagoniste principal pour la 500ème fois dans un film d'horreur. Il restera un bon film d'angoisse sans presque aucun jump scare et avec de bonnes scènes qui font grimper le malaise et puis.. et puis il y a l'IA. Je remercie pour ça la critique de Beaufils qui est l'une des rares à pointer du doigt ce problème.
On est en 2024 et ça y est, le cinéma commence à s'embourber dans ce merdier qu'est l'utilisation d'IA. On parle là d'à peine une dizaine de panneaux d'interlude télévisées ce qui n'est donc pas grave et en même temps beaucoup trop. Car franchement, dans tout les postes de travail auxquels fait appel un long métrage, celui de graphiste n'est certainement pas le plus complexe et cher compte tenu de la charge demandée ici. Surtout vu l'effet eighties appliqué à l'ensemble, un•e artiste aurait facilement pu faire la même chose. Et c'est précisément pour ça que l'IA rentre par ce côté là du cinéma. Nul besoin de remplacer un technicien plateau pour l'instant ou de faire appel à de l'imagination, il suffit de singer ce qui a été fait à l'époque, de faire du beau et rapide, exactement ce pour quoi tout le monde abreuve de données les midjourney et autres.
C'est dramatique car quand on sera face à des films qui génèrent des scènes entières d'animations, composent des musiques ou même des voix via les IA il sera un peu tard pour dire qu'effectivement ça n'aurait pas du commencer avec des encarts. C'est dramatique parce qu'on parle d'un film produit en parti dans les émirats-mangeurs de planète-unis. Et sans faire appel à Alan Moore pour un petit crobard, il y avait moyen de payer honnêtement n'importe quel quidam. C'est dramatique car le film se veut bien plus intelligent que ça, c'est dramatique car le film nous ment de la plus horrible des manières, c'est horrible car le vrai méchant, plus qu'un patron de secte occulte, qu'un producteur d’émission télé n'est qu'un simple algorithme. C'est horrible parce que quelques images gâchent le plaisir d'un film sans grandes ambitions, imparfait mais qui était loin d'être mauvais.
Le cinéma sera-t-il toujours du cinéma quand il n'y aura plus d'humains derrière ? Probablement autant que des mélodies générées aléatoirement sont toujours de la musique. Peut-être même encore plus car le cinéma nous mentira même dans sa chaîne de production.
Cinema will never die but you will.