Xavier Dolan nous fait un petit retour en arrière : back to the 90s avec des costumes qui nous donnent l’impression d’être dans un épisode du Prince de Bel Air.
Passons sur ses prouesses esthétiques qui forgent la Dolan’s touch des d’années. C’est le seul réalisateur qui peut capter la mélancolie du rôle principal en filmant son reflet dans l’eau d’un verre. Passons aussi sur la prestation de Suzanne Clément (Fred), simplement époustouflante.
Mais ne passons pas sur la capacité de Dolan à ne pas tomber dans le cliché, à rester classe en toute circonstance. Il n’a pas transformé Laurence en grande folle, il ne prolonge pas indéfiniment la scène d’annonce de sa réelle identité à Fred. Il choisit même de la terminer dans un silence qui se mue en transmission de pensées, narrées. « Tu me détestes ». Il aurait également pu tomber dans le psychodrame lorsque Fred prend rendez-vous chez le médecin. Non, faire un gros plan sur le sucre et bien plus intéressant.
Ce qui marque dans ce film c’est la froideur. La froideur des personnages face au changement de Laurence. D’abord celle de la mère de Fred, qui rejette verbalement celui qui a brisé, va briser sa fille sans le vouloir « J’ai besoin de ses avant-bras » -« Tout le monde a des avant-bras ». C’est aussi la froideur de la mère de Laurence qui continue à parler d’installation de télé face à son fils qui fait l’annonce de l’année. Une froideur qui se veut presque compréhensive, comme si sa mère l’avait toujours su, et que son amour pour lui resterait inchangé.
Vous voyez où je veux en venir ? J’ai tué ma mère, Tom à la Ferme, Mommy. La place de la mère est toujours prépondérante chez Dolan, une obsession, une marque de fabrique. Qu’en sais-je… De la place centrale qu’occupe la mère dans ses films et de la place inexistante qu’occupait le père habituellement, Dolan va plus loin. Ici, le père n’a pas la chance d’être absent : il est nocif. Nocif pour la relation mère-fils qui ne peut s’épanouir ici que lorsqu’il disparait.
Ensuite c’est le déni constant qui nous marque. Comme une métaphore filée de cette étape du deuil, car les proches de Laurence doivent en faire un : admettre qu’un de leur être cher est disparu à tout jamais. Le déni commence avec Laurence lui-même quand il parle des moments où il se déguisait « je l’ai fait 2,3 fois. 10 fois grand max ». Laurence, il y a tout de même un petit fossé entre 2 et 10, non ? Le déni se poursuit quand on réalise que le soutien des collègues de Laurence était en fait vain, comme si toute la première partie du film était inutile, comme s’ils l’aidaient à se construire pour me le détruire ensuite. Comme si personne ne pensait qu’il y aurait des conséquences à cette révélation, malgré notre « free world ». Le plus violent des dénis du film est bien sûr l’avortement de Fred, la femme A-Z qui tue leur relation en pensant la protéger, en pensant être assez forte pour reconstruire leur passion sur un mensonge. Passion qui n’existe plus lors de la scène finale, quand on remarque de façon quasi-nostalgique que ses cheveux sont devenus d’un brun commun.
Son film est aussi celui des échos, comme si chaque scène rappelait une scène précédente. C’est la scène où Laurence demande à Fred « combien de fois », qui est le miroir de l’interrogatoire qu’elle lui avait fait subir au début du film « est-ce que tu portais mes sous-vêtements ? ». C’est la scène de Fred qui débarque en soirée comme une reine, comme si tout allait bien, qui rappelle la scène initiale où Laurence se pavane dans les couloirs de son lycée, au paroxysme de la confiance en soi. C’est la scène quasi-finale où ils partent chacun de leur côté sous les feuilles d’automne virevoltantes, en opposition à celle où ils se retrouvaient sous les chutes de tissus (?) à the Isle of Black.
Encore une fois, Dolan mélange les arts dans son film, avec un accent porté sur la musique. Véritable actrice, elle porte les acteurs et amplifie leurs émotions. C’est Headman (Moisture) lorsque Laurence assume pour la première fois en public d’être habillé en femme. C’est Beethoven, qui accentue la folie de Fred et qui me fait me demander si j’ai déjà vu un film où Beethoven était utilisé pour un moment calme (Orange Mécanique). C’est A new error, de Moderat, quand Fred et Laurence se retrouvent, heureux pendant un court instant. Titre certainement pas choisi par hasard. Suivi d’ailleurs par un « Pour que tu m’aimes encore » qui vient casser l’ambiance retrouvailles d’une façon purement Dolanienne.
On notera l’apparition Hitchcockienne de Dolan, éclaire, mais immanquable.
En fin de compte ce film ne traite pas du changement « d’identité » d’une personne et de sa construction personnelle par rapport à cette revendication de sa personnalité profonde. En réalité, Dolan s’intéresse plus ici aux effets, destructeurs, des réactions des proches de Laurence. Car on pourrait penser que celui qui vivrait le plus difficilement cette transformation, c’est lui. Halte aux clichés, une nouvelle fois. En fait, Laurence assume son identité. Le sujet n’est donc pas d’assumer qui on est vraiment, mais d’arriver à comprendre et supporter la réaction de ses proches. La preuve dans son « on va te réparer », qu’il ose sortir à une Fred dépressive, qui prouve à quel point ce sont les autres qui importent dans le processus.
« J’veux pas redescendre sur terre, j’men branle de la terre, après être monté si haut ». C’est exactement ça. Dolan a atteint le sommet de son art avec Laurence Anyways. La terre ne le mérite même plus. Qu’il reste tout en haut à nous contempler du sommet de son génie.