Laurin est un film allemand de 1988 qui a tout de l’œuvre maudite pour son réalisateur Robert Sigl qui a 27 ans signait son premier et jusqu'ici seul long métrage pour le cinéma. Four commercial, le film ne restera que deux petites semaines à l'affiche en Allemagne, totalement sabordé à l’internationale avec quasiment aucune sortie, Laurin finira par sombrer dans l'oubli et son réalisateur se tournera vers la télévision en alternant jobs alimentaires et projets un peu plus personnels. En France c'est l'éditeur Le Chat qui Fume qui va un peu sortir Laurin de l'oubli avec une superbe édition DVD/Blu-ray en 2020. Petit à petit, de découvertes en redécouvertes, Laurin va doucement obtenir son statut de film maudit mais culte pour bon nombre de spectateurs qui poseront leur regard dessus.
Laurin nous plonge dans un petit village allemand au tout début du siècle dernier. C'est là que vit Laurin une gamine qui doit faire face à un père marin toujours absent, une mère décédée alors qu'elle était enceinte et une menace qui rôde en faisant disparaître les enfants du village. Entre réalité et cauchemar, Laurin doit faire face au monde des adultes et se construire en tant que personne.
Ce qui marque le plus durablement dans cette production allemande tournée en Hongrie avec des comédiens et techniciens locaux, c'est sans aucun doute la rigueur artistique et la beauté picturale du film de Robert Sigl. Bien que tourné à la fin des années 80, le film adopte volontairement une ambiance classique et posée proche de certaines grandes œuvres de la Hammer. Le film sublimé par la photographie de Niyika Jancso est un véritable régal pour les pupilles d'esthètes avec des ambiances qui vont de l'univers de la peinture classique des maîtres tels que Rembrandt, Vermeer ou Turner jusqu'au baroque coloré des films de Bava et Argento (même si le réalisateur cite plus volontiers le peintre Marc Chagall comme influence) en passant donc par les ambiances brumeuses de la Hammer ou l'univers de conte à la Neil Jordan dans La Compagnie des Loups. La rigueur pictural du cadre enferme les images dans une suite de tableaux assez fascinants de beauté et cette qualité visuelle et esthétique confère au film son ambiance très réussie entre folk horror, onirisme, conte et chronique naturaliste. L'autre atout majeur du film reste la jeune comédienne Dora Szinetar dans le rôle de Laurin dont la fascinante présence charismatique bouffe l'écran durant tout le film.
Si l'aspect visuelle du film est donc sa plus grande réussite en revanche dans ce qu'il raconte Laurin s'avère bien moins séduisant. Certes cette éternelle histoire de passage vers l'âge adulte à travers le récit d'une enfant se confrontant à la cruauté du monde n'est pas inintéressante mais on on pouvait espérer de ce récit qui flirte avec le spectre du monstre pédophile une plus grande puissance dramatique et horrifique. Roger Sigl et son scénariste Adam Rosgonyi choisissent bien sûr la voie du conte et de la suggestion fantasmagorique plutôt que celui d'un récit didactique et clair dans ses intentions, mais dans l'ensemble l'histoire pas toujours très lisible manque d'accroches à défaut d'aspérités pour ne pas provoquer au final un léger sentiment d'ennui. Si la beauté fascine, l'histoire elle ne passionne pas vraiment et le manque de tension empêche d'être pleinement captivé tout comme le manque d'émotion condamne un peu le film à une ballade dans un univers aussi riche que froid.
On comprendra aisément que Laurin de par sa radicalité et son univers n'est pas rencontré un très large succès public , il est en revanche fort regrettable que depuis plus de trente ans maintenant Roger Sigl n'est jamais eu l'opportunité de nous livrer un nouveau long métrage de cinéma. Sur IMDB le réalisateur semble avoir plusieurs projets en cours, en espérant que ses projets soient pour le grand écran, qu'ils parviennent jusqu'à nous et déjà qu'ils aboutissent un jour pour confirmer les magnifiques mais bancals promesses de ce premier essais.