Le concept a du bon : sur le canevas éprouvé de l’usage, qui définit à quoi devrait ressembler un film conventionnel, les expériences à la marge sont toujours fertiles. L’idée d’un film dénué de dialogues n’est d’ailleurs pas une chose foncièrement nouvelle lorsque Scola s’y attelle en 1983. Tati a déjà largement expérimenté ce parti-pris, ou Shindo dans L’île nue, par exemple, l’occasion, à chaque fois, d’une réflexion sur la condition humaine portée à une dimension universelle, dans laquelle chaque individu rejouerait une partition incontournable, à la fois attachante et ridiculement prévisible.


La salle de bal devient ainsi le terreau de cette nouvelle exploration des rapports humains. Le temps du divertissement, où on pourrait être soi-même et se laisser aller au plaisir du mouvement, mais aussi le lieu de la séduction où il s’agira, une nouvelle fois, de jouer un rôle. Marivaudage averbal, le bal est le lieu des parades, des résistances et des regards en coins, des rivalités et, pour les exclus, d’une solitude d’autant plus cruelle qu’elle se subit au regard de la collectivité.


Sur ce dispositif qui pourrait nourrir un court métrage, Scola greffe une dimension temporelle qui va explorer la même salle au fil de différentes époques, du Front Populaire à l’Occupation, du flon flon musette à la disco. Une salle, plusieurs ambiances. Si le renouveau est permis, les explorations sont néanmoins les mêmes, le même groupe de comédiens rejouant, à quelques variations près, la même comédie.


La question se pose assez rapidement : qu’est-ce que le cinéma vient investir dans cette unité de lieu et ce jeu forcément et sciemment outré de la pantomime ? quel est son apport, en quoi son esthétique et son propos vont-ils servir un dispositif résolument scénique, et d’ailleurs adapté d’un spectacle vivant ?


Si l’on peut saluer le travail de mise en scène qui permet d’investir l’espace et de jouer de toutes les mouvements pour accompagner la chorégraphie des silhouettes, la machine tourne tout de même rapidement à vide. Le concept est emballé en 20 minutes, et les 90 qui restent semblent vraiment interminables, ne devant leur renouvellement qu’à une bande sonore qui tente la plus grande diversité, et des ressorts assez laborieux pour dire des époques (les étudiants qui se réfugient, le flic qui tabasse un arabe, le nazi qui force une danseuse, etc.). Comme s’il fallait prouver que l’idée tient, et qu’elle permet effectivement de raconter le siècle. Comme si la finalité du film était moins une réflexion sur la nature humaine qu’un défi esthétique, l’exploration d’une contrainte qui révélerait le talent de celui qui sait l’essorer jusqu’au bout.

Sergent_Pepper
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les Tops de Dan, Concept et Vu en 2020

Créée

le 15 janv. 2021

Critique lue 466 fois

10 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 466 fois

10

D'autres avis sur Le Bal

Le Bal
Sergent_Pepper
4

Stérile en la demeure

Le concept a du bon : sur le canevas éprouvé de l’usage, qui définit à quoi devrait ressembler un film conventionnel, les expériences à la marge sont toujours fertiles. L’idée d’un film dénué de...

le 15 janv. 2021

10 j'aime

Le Bal
Theloma
9

Le petit bal perdu

Peu rediffusé à la télévision et assez rare à trouver dans les bacs à DVD voici un excellent film à plusieurs points de vue. D'abord, si les bavardages de certaines productions récentes vous lassent,...

le 5 mai 2015

7 j'aime

9

Le Bal
shun51
9

Infinie nostalgie

Enchaînement parfait, des acteurs formidables bien typés, une réalisation mêlant plans séquences et plans courts avec une maestria impressionnante, une nostalgie infinie qui habite tout le film,...

le 20 avr. 2024

3 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53