Le cinéma de Zviaguintsev est une machine de précision. En trois films et un Lion d'or, il a imposé ses lents mouvements d'appareils, sa violence sourde, ses tons pastels. Les 2h30 de son deuxième et plus long film, "Le bannissement" (2007), cristallisent à la fois ses qualités et peut-être aussi quelques défauts, comme une signature.
Après "Le retour", Zviaguintsev était devenu un peu vite le "nouveau Tarkovski". Le temps d'un film qui laissait un goût d'inachevé et l'image du Christ d'Andrea Mantegna comme le symbole d'un élève appliqué au travail trop léché. Aussi, beaucoup ont vu dans "Le bannissement" et plus encore dans "Elena" une oeuvre de la maturité (encore un cliché). Si ces deux films sont visuellement moins fiers de leurs effets, ils restent maîtrisés de A comme Andrei à Z comme Zviaguinstev. Le climat mortifère s'installe vite. Les travellings pesants déroulent des paysages sompteux. Des personnages taiseux déambulent dans cette lumière dont le remarquable Konstatin Lavronenko, récompensé à Cannes. Z. se pose comme auteur en refusant les artifices d'un cinéma clippé : les plans durent, l'oeil est alerte, pas ou peu de musique, etc...
Pourtant, pourtant, au milieu de cette perfection, il faut le dire, la vie peine à se frayer un chemin. Z. cherche des moyens : des enfants qui jouent, ou le recours au vent, à la pluie (il pleut beaucoup dans ses films). Mais rien n'y fait - la machine comme trop bien huilée écrase l'imprévue, l'imperfection, et (Kundera me pardonnera) on baigne dans cette "Insoutenable lourdeur de l'être" qui est à la fois le programme et la limite de ces trois films. La première demi-heure du "Bannissement", en trompe l'oeil dans une campagne baignée de soleil est, comme un beau préambule, une promesse d'autre chose, comme ce dernier plan où l'on chante. Mais là encore, le plan-séquence cadre tout ça comme l'armée soviétique cadrait les choeurs de l'Armée rouge. De la vie ! Ce cinéma de l'épure, qui cherche visiblement dans la forme une perfection n'est pas loin de se piéger à ce jeu, de s'enfermer dans un air vicié et splendide qui tournerait au théâtre des poupées de cire. Il faut être exigeant avec nos meilleurs cinéastes. De fait, Z. semble comme pris dans un paradoxe, le cul entre deux cinéma : des plans splendides mais extrêmement étalonnés, pas de musique mais des effets sonores. Et finalement derrière cette beauté très travaillée, lui, Z. tout puissant, omniprésent, que l'on voit presque autant que son film.
Il y a les très grands dont on ne retient que la beauté pure. Et il y a les grands dont on remarque le mouvement de caméra, l'"effort" de beauté pour ainsi dire. Z. doit apprendre à disparaître de ses films pour devenir quelqu'un.