Sisyphe, oui bien sûr. Mais ce qui compte surtout chez Teshigahara, c'est la dimension mythologique, qui apparaissait déjà dans "Traquenard" (1962) deux ans plus tôt. Un homme et une femme au pied d'une falaise, pelletant au prix de leur vie un sable qui jamais ne s'épuise... Le livre de Kôbô Abe (sorte de Beckett japonais, tantôt absurde tantôt inquiétant) qui sert ici de scénario se prête à merveille aux interprétations et autres métaphores. Et comme dans "Traquenard" qu'il avait aussi écrit, le conte est difficile à situer. Où ? Quand ? Qui ? Peu importe à vrai dire. Ce sera un homme pour tous les hommes, semble-t-il.

Le traitement visuel du film est époustouflant, comme dans tous les films du maître japonais. La photographie atteint des sommets que seul le grand Kobayashi a peut-être tutoyé. Le vent balaye les dunes, dans un noir et blanc au grain splendide. Le cinéaste expérimente, se risque à des plans toujours plus près des matières, toujours plus encrés, sensuels, dans ce monde oublié. Plus encore, les effets de montage sont la principale réussite de la première heure : par différents faux raccords ou plans courts, Teshigahara nous tient en haleine, nous annonce quelque chose à venir. Les fondus enchaînés, surimpressions, et la musique envoûtante de Tōru Takemitsu font le reste.

Une fois le film installé, il touche presque à l'essence du cinéma : des corps qui bougent dans un cadre. Les voir simplement organiser leur survie, boire, se laver, dormir, apparaît une épreuve et nous sommes comme suspendus à leur vie quotidienne. L'érotisme naît de la matière même. Le sable, la transpiration, l'eau, le vent. De quoi a-t-on besoin en plus ? Film fou à l'ambition extrême, "La femme des sables" tient le pari de se suffire à lui-même. Et c'est là qu'il est le plus fort. Il touche alors à cette forme d'ascèse qui sublimait notamment "L'île nue" (1961) et qu'il évoque irrésistiblement.

Paradoxalement quand il se cherche ensuite de nouveaux enjeux scénaristiques, il s'affaiblit. Comment s'échapper (on comprend vite que c'est impossible) ? Où aller ? Que faire ? En fait, on se demande surtout qui sont ces hommes qui prennent sur eux d'en enfermer d'autres et de les torturer. Le film hésite alors entre situer ses personnages (elle lui dit de retourner à Tokyo, avec sa femme s'il en a une, il pourrait reprendre son travail de prof) et le symbolisme pur (la scène du viol, les visages masqués qui chantent) ce qui brouille un peu les cartes. "Traquenard" avait ce mérite de jouer la fable abstraite jusqu'au bout. Ici l'homme serait en réalité réduit à des papiers, un numéro, un matricule. Son travail est vain. Sa quête est celle-ci : trouver un but, accomplir quelque chose.

En ce sens, "La femme des sables" est une parfaite transition, annonçant le travail à venir dans "Le visage d'un autre" (1966) qui reste à mon sens le plus grand accomplissement du cinéaste. Comme ses autres grandes réalisations, "La femme des sables" est une fable philosophique âpre et radicale, techniquement parfaite, laissant le spectateur face à ses interrogations.
bilouaustria
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