"On navigue dans l'oubli"
Je viens de voir ce film dans une de ses versions longues. Presque 5 heures. Dont l'immense majorité à l'étroit à l'intérieur d'un sous-marin allemand qui navigue dans l'Atlantique Nord entre octobre et décembre 1941. Un huis-clos donc. Sans le moindre défaut du genre. Le travail sur les lumières et l'atmosphère, la succession de passages calmes et tendus, tout cela contribue à accrocher le spectateur.
Un huis clos et un film de guerre. Mais un film de guerre comme je les aime. Humain. Au spectaculaire, Wolfgang Petersen préfère les personnages. Ainsi, on ne verra quasiment rien des combats. Le cinéaste joue sur une corde, tout en finesse, utilisant beaucoup les sons pour créer des effets de suggestion. Ainsi, dans une des nombreuses scènes remarquables du film, quand le sous-marin attaque un convoi, on ne voit pas les torpilles exploser et les victimes couler. On entend tout. La caméra ne sort pas du sous-marin et Petersen insiste sur le tonnerre des explosions et, surtout, sur le bruit des carcasse de ferraille en train de sombrer. Le résultat est infiniment plus violent et horrible que ce que les images pourraient nous montrer. En général, le jeu sur les sonorités, les bruits et les silences est une des grandes réussites du film. De même que cette musique, lancinante, cette mélodie presque funèbre qui arrive chaque fois que l'on voit le sous-marin.
Un film de guerre humain, donc. Parce que Petersen va d'abord et avant tout s'intéresser à ses personnages. Des personnages tous différents : ce sous-marin est peuplé d'une cinquantaine de caractères bien trempés et montrés dans toute leur diversité. Mais quand vient l'heure du combat ou l'alerte, toutes ces individualités s'unissent d'un coup pour faire corps avec la machine.
Et puis, il y a les nombreux moments de tension, d'angoisse. Et là, rien de mieux que de montrer cette tension sur les visages de ces personnages, tous unis dans la même peur.
Tous les aspects de la vie à bord sont évoqués jusqu'aux moindres détails. A commencer par les dernières heures avant de monter, quand on fait la fête (avec tous les excès que cela peut comporter) pour oublier que l'on va être coupés du monde pour des mois entiers (si jamais on revient, ce qui est loin d'être garanti). Le manque de place, l'éloignement avec la patrie et ceux que l'on aime, la nourriture (dont les citrons employés pour éviter le scorbut), les maladies (la scène des morpions, avec le défilé des marins, pantalon aux genoux, devant le médecin), l'enfermement, la nervosité, les ordres aberrants, les ennuis mécaniques, etc. Je vous assure qu'il y a largement de quoi combler ces cinq heures !
Une des grandes qualités du film, c'est donc de ne pas forcer sur le spectaculaire. Ainsi, pendant toute une première partie du film, il ne se passe rien. La vie à bord est riche, et le spectateur ne s'ennuie pas un instant. Mais les hommes sont dans une position d'attente. L'attente d'un ordre précis ou d'un ennemi face à soi. L'attente de l'action. Rien n'est pire, finalement : la tension s'accumule, l'incertitude entraîne la rancœur envers les dirigeants que l'on juge incapables. Les hommes en viennent à se battre entre eux.Le travail de reconstitution est exceptionnel. Le rythme est soutenu : il se passe toujours quelque chose, que ce soit anecdotique ou vital. La multitude de personnages et de situations diverses y contribue largement. La réalisation est une grande réussite, d'autant plus que les condition de tournage n'ont pas dû être idéales.
L'interprétation est d'un grand niveau. Le spectateur passe par toutes les émotions : comédie, drame, suspense, action, angoisse, horreur même...
En bref, une réussite sous tous les aspects, un chef d’œuvre non pas uniquement du film de guerre, mais du cinéma tout court.