Après sa prolifique excursion en Indonésie (où il a réalisé trois films), Gareth Evans revient sur ses terres natales britanniques pour tourner Le Bon Apôtre, un thriller ténébreux sur fond de secte religieuse manipulatrice qui n’hésite pas à aller tourmenter le spectateur au plus profond de son âme.
Silent Isle
Une île isolée, un village au milieu des bois et une divinité inconnue… Il est vite évident que ce Bon Apôtre ré-invoque avec force l’inoubliable Wicker Man de Robin Hardy. Mais fort heureusement, Gareth Evans est un petit malin et il parviendra habilement à sortir de l’ombre de son modèle grâce à son style visuel unique et une construction de récit qui ne laisse que très peu de place au sentiment de déjà-vu. Dans cet endroit reculé, le christianisme n’a pas encore posé ses marques et les hommes l’habitant n’ont alors pas hésité à modelé un discours manipulateur visant à formater le mode de vie d’une nouvelle communauté, quitte à se mettre la couronne à dos. Avec l'aide de son scénario habile, Evans livre une réflexion fine et passionnante sur la religion et ses dérives manipulatrices, sujet éternel qui résonne encore terriblement dans notre époque actuelle déchirée.
Avec Le Bon Apôtre, le réalisateur propose une fascinante extension de son Safe Haven, l’incroyable (et de très TRÈS loin le meilleur) segment du film à sketch V/H/S 2, dans lequel nous visitions déjà une secte habitée par le mal et la chute d’un personnage dans des ténèbres abyssaux. Sauf qu’ici, on ne peut pas véritablement parler de descente aux enfers, puisque notre héros se trouve déjà piégé dans des limbes infernales dés le début du film : celles de son esprit. Dan Stevens livre une prestation possédée avec ce rôle de renégat infiltré venu libérer sa sœur séquestrée sur cette île. L’acteur anglais transpire le mal-être et donne vie aux tourments d’un homme qui n’a définitivement plus grand-chose à perdre. Et le reste du casting n’est pas en reste, entre la magnifique Lucy Boynton tout en douceur et subtilité, Martin Sheen dans un personnage beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et la prestation animale de Mark Lewis Jones.
Roots Bloody Roots
Comme il nous l’a prouvé avec les deux mémorables films d’action ultra-burnés que sont The Raid et The Raid 2, Gareth Evans est une véritable bête de mise en scène. Et si ici l’action est inévitablement moins présente, la caméra du cinéaste n’en a pas pour autant perdu de son énergie. Evans multiplie les mouvements vertigineux et les cadres travaillés au millimètre, le tout toujours parfaitement en adéquation avec un discours poussé et fascinant sur un sujet épineux. Il est une fois de plus aidé par son directeur de la photographie Matt Flannery qui effectue de nouveau un travail sublime et participe à donner vie à cette nature poisseuse et ces nuits sombres éclaboussées des flammes de quelques torches. En plus de la sublime plastique du long métrage, le réalisateur apporte la profondeur réflective et émotionnelle qu’il manquait jusqu’ici à sa filmographie et confirme au passage qu’il est l’un des cinéastes actuels les plus passionnants, car terriblement libre et irrévérencieux. D’autant qu’avec ses 2h10 au compteur, on aurait pu craindre certaines longueurs mais il n’en est rien : Le Bon Apôtre reste captivant de bout en bout et opère une montée en tension diaboliquement efficace.
(ATTENTION LÉGER SPOILER) Si le premier quart du film reste ambiguë sur son orientation, Evans fait ensuite le choix audacieux de verser sans vergogne dans un fantastique des plus sombre, et ce avec une honnêteté et un amour de nos jours très rare dans le cinéma de genre. (FIN DU SPOILER) Qui plus est, l’artiste fait ici preuve d’une violence graphique éprouvante (mais en attendait-on moins de lui ?) mais jamais gratuite. Car ces flots de sang, ces corps enchaînés et ces séances de tortures ne sont que les conséquences d’un résonnement malade naît de la peur et de la vanité humaine. Car une fois de plus, l’Homme n’hésitera pas à assouvir ses besoins égoïstes en exploitant jusqu’au malaise les ressources de Dame Nature et en modelant comme bon lui semble les paroles divines, lui permettant ainsi de laisser jaillir ses pulsions les plus sadiques en plein jour et aux yeux de tous. Le Bon Apôtre ne délaisse donc jamais le fond pour la forme et cite même avec passion Les Diables de Ken Russel, probablement le film le plus bouillonnant et virulent sur les dérives religieuses de notre monde.
Il est évident que nous aurions aimé découvrir Le Bon Apôtre sur grand écran. Mais il est également réconfortant de savoir que Netflix a offert à Gareth Evans la liberté artistique totale lui ayant permis de nous livrer ce bijou noir inestimable. Entre son symbolisme fort et sa puissance visuelle et sonore (la BO est à tomber), Le Bon Apôtre s'impose comme un conte macabre gore et endiablé qui marquera votre esprit au fer rouge et embrasera votre cœur lors d’un final d’une ténébreuse beauté.
critique originale : https://www.watchingthescream.com/retour-des-enfers-critique-le-bon-apotre/