Une tempête, une maison inondée, des alligators affamés. Il n’en faut pas plus à Alexandre Aja pour replonger dans l’horreur pure et nous livrer un ride méchant et sanglant comme on les aime.
Nage droit devant toi
Avec ses deux derniers films (Horns et La 9e vie de Louis Drax), Alexandre Aja s’était quelque peu éloigné de l’horreur pure qui avait fait son renom (avec en haut du panier Haute Tension et La Colline à des yeux). Cette parenthèse dramatico-poétique (qui contient son lot d’horreur, ne nous y trompons pas), ne manquait pour autant pas de mordant. Et si le cinéaste parvenait à conserver son style visuel et sa mise en scène ultra-efficace, il lui manquait la subtilité pour toucher du doigt l’ampleur nécessaire à des histoires plus déployées d’avantage exigeantes en terme de maîtrise narrative. Car le fait est que le réalisateur semble définitivement plus à l’aise dans les récits resserrés. Ça tombe bien, l’histoire de Crawl est épurée jusqu’à l’os. Jugez plutôt : alors qu’un ouragan est sur le point de s’abattre sur la Floride, Haley (Kaya Scodelario), une nageuse professionnelle, se rend à la maison de son père (Barry Pepper) qui ne donne plus signe de vie depuis quelques jours. Pour cause : une fois arrivée sur place, elle le découvre blessé dans sa cave, pris en chasse par un alligator ayant élu domicile sur les lieux.
Passé une scène d’introduction qui sublime à notre insu tous les enjeux dramatiques du film (un second visionnage nous la fera voir d’un autre œil), Alexandre Aja se lance dans un sprint sanglant qui n’offrira au spectateur aucune occasion de reprendre son souffle. Car si vous êtes venus pour vous taper une bonne tranche de marrade à la sauce bikini façon Piranha 3D, vous pouvez tout de suite retirer vos lunettes de soleil et ravaler votre rire gras. Crawl se pose comme l’antithèse même du film de poissons tueurs de son réalisateur. La bimbo américaine écervelée faisant office de chair à canon laisse place à une femme indépendante qui tente de gérer au mieux sa vie d’adulte et ses conflits familiaux et la terreur pure remplace le comique horrifique décomplexé.
La dernière maison sous l’eau
Si nous sommes loin d’approcher Shakespeare (mais le film n’en a jamais la prétention), Aja dilue de façon suffisamment intelligente les enjeux émotionnels de ses personnages sur les 1h30 de long-métrage pour offrir à ce ride féroce une épaisseur symbolique et psychologique d’une incroyable efficacité. Car au vu de son sujet bis en diable, le film aurait pu sombrer dans un mood de DTV de bas-étage aux personnages interchangeables. Il n’en est rien. Et c’est là l’une des grandes force d’Aja : ne jamais prendre son sujet de haut tout en se gardant bien de vouloir livrer autre chose qu’un film d’exploitation honnête et sincère. Cela se ressent aussi bien dans le traitement d’une violence éprouvante qui dose ses effets avec brio pour ne jamais virer dans un gore festif (qui nous éloignerait du clavaire des personnages), que dans la mise en exergue d’une relation père/fille qui trouvera dans cette course à la vie l’absolution de ses conflits.
Le réalisateur attache donc autant d’importance au développement de ses personnages qu’à ses (nombreuses) scènes d’attaques animales, qui profitent de CGI extrêmement réussis. Si bien que la crédibilité de ses créatures sauvages n’est jamais mise en doute : les crocodiles sont là et ils ont faim. Très faim. Crawl est un récit à étages qui, alors que les personnages montent dans l’espace de la maison en même temps que le niveau de l’eau (ils commencent dans la cave pour finir sur le toit), fait grimper parallèlement la tension en accumulant les idées de mise en scène et de découpage. Ce que le The Raid de Gareth Evans faisait avec le film d’action, Crawl le fait avec le film d’horreur, plus précisément, le survival. Et alors que notre empathie pour les personnages n’aura cessé de grandir, il sera de plus en plus difficile de contenir son stresse et son effroi face à la menace animale qui rôde autour de cette famille.
Puisqu’à l’arrivée, c’est cette réconciliation entre une fille et son père qui porte le long-métrage et fait que nous avons là une série B sensible, honnête et généreuse portée par deux acteurs (et un chien !) habités. Une histoire de survie éprouvante sur le pardon et le dépassement de soi qui se place haut dans le (maigre) panthéon des meilleurs films de crocos, aux côtés du Crocodile de la mort, Black Water et Solitaire.
critique originale : https://www.watchingthescream.com/amour-vs-predateurs-critique-de-crawl/