Si j'étais prof de civilisation française à l'étranger, voilà ce que je montrerais à mes étudiants !

En seconde, j'ai eu un vieux prof de français, absolument génial et absolument cinglé ! Il nous a fait lire "L'étranger" d'Albert Camus. Son grand truc, pour décrire le style de Camus, c'était de nous dire : "Si j'avais affaire à des étudiants étrangers qui apprennent le français, je leur ferais lire ce livre car la langue utilisée y est simple, juste et claire."


Et bien, si j'étais un professeur amené à expliquer à des étrangers ce qu'est la France, du point de vue culturel, civilisationnel, social, je leur montrerais ce film.


En effet, comment, mieux que dans "Le Bonheur est dans le pré", exposer les tendances, les fractures, mais aussi les permanences de la France profonde ?


Le film se situe dans les années 90, et il les décrit si bien : on est loin des utopies des années 70 ou de la branchitude béate des années Mitterrand, mais l'ambiance n'est pas aussi anxiogène qu'en 2015. La télé-réalité balbutie déjà son entreprise d'abêtissement général, mais elle n'a pas encore réussi à décérébrer tout le monde.


Une France "de toujours" continue d'exister (ce qui est, hélas, beaucoup moins vrai aujourd'hui). Celle des archétypes : le patron râleur, le beauf dragueur, les ouvrières de PME, ni vraiment heureuses ni vraiment malheureuses, les bourgeoises débiles... etc...etc... Le film dresse une sacrée galerie de portraits ! Dont personne ne sort grandi, quelque soit son niveau d'études et ses revenus, mais où personne non plus n'est enfoncé.


Et c'est d'ailleurs ce choix d'adopter un angle résolument positif qui explique en partie le succès du film. Oui, en France, y'a des problèmes ! Les ouvrières de province sont guettées par le chômage et le mauvais temps, les agriculteurs s'en sortent pas, les petits patrons enragent dès qu'ils évoquent l'URSSAF et la CGT, le Sud râle contre Paris... Mais, au final, entre le pinard, la bouffe, la simplissime beauté des terroirs ("Viens, mon Gégé, je vais t'emmener sur mon petit tertre ; à cette heure-ci, il y a une lumière magnifique !") et la convivialité des bistrots de village, notre pays reste le plus agréable endroit du monde !


Autre truc très bien vu : la rupture entre générations. Ici, pas de fossé culturel entre jeunes et vieux (si ce n'est dans les détails ; je pense au film d'horreur, par exemple), ni de jugement sur les mœurs des uns et des autres (Serrault-Michel est simplement un peu surpris que maman Dolores assume très bien les plans à 3 de sa fille. Celle-ci se verrait d'ailleurs bien se taper Eddy Mitchell-Gérard, pourtant son aîné de 20 ans). Par contre, tous les vieux tombent d'accord pour ne pas révéler aux jeunes filles la vérité sur la destinée de l'authentique Michel : "elles ne comprendraient pas à leur âge !" Chatiliez évite ainsi l'analyse sociétale facile et conjoncturelle mais réussit, au contraire, à tutoyer l'universel. Je trouve ça très fort !


Le film, enfin, est une vaste entreprise de déculpabilisation face au politiquement correct qui, à l'instar de la téléréalité, balbutie lui aussi en 1995. Régulièrement, des seconds rôles viennent rappeler aux principaux protagonistes que non, décidément, à notre époque, certaines choses ne se font pas ! Comme servir un plat en sauce et du vin à un accidenté cardiaque dans sa chambre d'hôpital ou délaisser sa famille pour picoler jusqu'à pas d'heures avec ses copains. Mais, à chaque fois, convivialité et bon sens désamorcent la situation ("Oh, elle va pas faire sa méchante ? ....hein.... comment ? Lison ? ... Elle va boire un petit verre avec nous, Lison, hein ?" ou encore "Oh, Lolotte - qui vient de les traiter d'irresponsables - ils sont pas méchants !").


Ainsi, "Le bonheur est dans le pré", dont le projet originel n'est pas du tout le même que celui de "L'enquête corse" aboutit, au final, au même résultat : une bonne analyse géographique !

phil68000
10
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le 29 nov. 2015

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