En adaptant Notre Dame de Paris, Gary Trousdale et Kirk Wise, réalisateurs de La Belle et la Bête, abandonnèrent l'idée de transposer le mythe d'Orphée au cinéma, convaincus de trouver dans l'oeuvre de Victor Hugo un défi à relever et un haut potentiel dramatique. Produit avant les prémisses du déclin de l'animation traditionnelle, Le Bossu de Notre-Dame fera couler de l'encre pour son impertinence d'utiliser à des fins commerciales un ouvrage intouchable de la littérature française en le dénaturant. La critique sera à nouveau dans le tort (du moins en partie mais on y reviendra), les artisans de Disney ayant non seulement franchi une nouvelle étape vers la maturité et ayant réutilisé les passages cultes du livre pour façonner leur propre histoire sans chercher à salir l'esprit de l'auteur.
Si le long-métrage dépeint bien l'aube d'une guerre civile n'attendant que le soulèvement du peuple, Le Bossu de Notre-Dame ose faire ce que peu de films pour enfants ont traité avant lui, se servir de la religion comme guide spirituel pour tous les rôles principaux. Trousdale et Wise n'émettent aucune remise en question sur le bien-fondé de cette doctrine mais en font un élément abstrait, une force obscure qui surveillerait les fidèles, les pousserait à agir selon leurs interprétations et pourrait même intervenir si besoin est. Idée suivie par les trois scènes les plus intimement liés à la foi que sont la détermination de Frollo à débarrasser Paris de la vermine, la prière d'Esméralda pour que Dieu vienne en aide aux miséreux et la punition divine subie par le Juge pour avoir trahi sa promesse, chutant avec la même sculpture dont il craignait le regard des années plus tôt.
La cathédrale de Notre-Dame est valorisée sous toutes ses formes, devenant le centre de la cité, un monument dépassant le stade d'une église, elle est un refuge, un symbole de la puissance catholique surplombant la foule, subtilement mise en avant lors des moments de bravoure tel l'affront de la bohémienne en s'interposant sur le parvis où l'édifice la soutient en contre-plongée. La lumière joue également un rôle primordial, bénéficiant d'un travail d'éclairage impressionnant où les rayons du Soleil, la flamme des bougies et les reflets des vitraux évoquent la protection des cieux là où des tableaux plus surréalistes dominés par le feu démontrent toute la noirceur humaine (l'incendie de la capitale ombrant l'azur, le plomb fondu s'écoulant sur la place publique).
Mais les images ne seraient rien si elles n'étaient pas en parfaite symbiose avec la musique. Alan Menken et Stephen Schwartz se sont surpassés en signant l'une des bandes-originales les plus inspirées et les plus empoignantes de la décennie, faisant des chœurs latins un motif récurrent du récit où leur traduction se veut tantôt ténébreuse tantôt épique, se mêlant aux actions qui décident du parti des protagonistes (Phoebus sauvant une famille de la mort, le sonneur de cloche brisant ses chaînes et ainsi des entraves le retenant à la structure). Les 8 chansons sont de pures merveilles (à l'exception d'une seule) embrassant totalement le genre de la comédie musicale. Nul doute que Le Bossu de Notre-Dame leur doit beaucoup, en particulier pour la caractérisation de son casting.
Existe-t-il de meilleure définition du personnage-décor que Quasimodo? Carillonneur si lié à sa prison faisant office de maison qu'il en arpente chaque morceau, se balançant de poutre en colonne, comme s'il ignorait la gravité, la peur du vide, que lui et Notre-Dame ne faisaient qu'un, statut confirmé par son état: bossu, difforme, sans identité mais innocent, aimant, bon, des qualités qui se doivent d'être défendues et qui lui sont finalement reconnues.
L'antithèse de son paternaliste, représentant tout ce qu'il y a de pire chez l'être humain. Haineux, puant, et ayant pourtant la fonction de magistrat (le faire évoluer d'un archidiacre à un juge était une modification nécessaire pour appuyer le propos du film). Une figure de terreur alors qu'il n'est qu'un vieillard physiquement faible et confus dans sa croyance, faiblesse intensifiée dans la séquence Hellfire où il tente de se justifier face à une assemblée d'arbitres de l'Au-Delà.
Un scénario adulte qui se voit gâché par un mauvais goût inexcusable, l'ajout de 3 gargouilles comme sidekicks pour les mômes dont leur inutilité est aussi vexante que leur présence inappropriée. Chacune de leurs apparitions est une torture tant le film plonge dans un hors-sujet incompréhensible, atténuant les instants d'émotion et se rendant mêmes détestables quand les 5 minutes de réconfort dédiées à Quasimodo pour qu'il déclare sa flamme n'aboutissent à rien. Une erreur de taille quand on constate les efforts faits pour s'éloigner même vocalement des standards disneyens, notamment avec Kevin Kline et Demi Moore qui apportent un jeu tranchant avec les voix habituelles de couples animés.
C'est à l'international et surtout en France que Le Bossu de Notre-Dame connaîtra le succès en 1996, se hissant même au fil du temps comme un des Classiques Disney préférés du grand public pour sa prise de risques et son souffle rivalisant avec Le Roi Lion. À quelques égarements près, il s'érige sans mal au panthéon des plus grands films d'animation de la compagnie. Un quasi-chef-d'oeuvre vieillissant mieux année après année.