Le Bouton de nacre
7.3
Le Bouton de nacre

Documentaire de Patricio Guzmán (2015)

La mémoire du cinéaste, ravivée par ces boutons au fond des eaux chiliennes, est indéniablement transmise au spectateur par le biais de ce documentaire, sur l’eau, l’Histoire et les paysages de la Patagonie. Et ce qui est fort, c’est justement ces différences entre le pourquoi et le comment : passer par l’eau ou la nature pour parler de la Patagonie et de la dictature de Pinochet à partir du coup d’état de 1973 (déjà un sujet bien entamé dans Le Cas Pinochet ou La Bataille du Chili du même documentariste). En fait, cela revient à passer par ce qui est calme et doux pour parler de violence et d’autochtones balancés à la mer, enfermés dans du plastique et accrochés à un rail de chemin de fer afin de mieux couler. Ce contraste est d’ailleurs subtilement et poétiquement montré grâce à un plan métaphorique d’un glacier, dans la première partie du film : l’image est tranquille, il ne se passe quasiment rien, mais c’est par ce son résonnant et oppressant de la fonte de ce même glacier que le fond est montré. Ce fond, ce sont la violence et le choc, la mémoire qui se casse derrière ces douces images. C’est en cela que Le Bouton de nacre est un film poétique, mais aussi un film qui ose jouer sur les contrastes, le parallélisme.


Puis, les témoignages intéressants et bien choisis (un poète a autant sa place qu’un « autochtone » dans le casting du documentaire), bien qu’à certains moments bien trop métaphoriques pour que l’on n’y croit ou que l’on garde son sérieux (le passage de l’homme qui imite, en faisant des bruits avec sa bouche, le son de l’eau est un peu longuet pour ce qu’il est : on aurait compris même avec quelques dizaines de secondes en moins) montrent aussi ces contrastes, mais d’une manière différente. On aborde alors une autre notion que la violence : celle du langage. On se rappelle de ce passage du film où Guzmán, avec sa voix agréable – grave et lente, demande à ses interlocuteurs la traduction de certains mots dans leurs langues natales, aujourd’hui quasiment éteintes. Il y a des mots, qui eux, ont tout d’abord une traduction, mais d’autres qui n’en ont pas. « On n’utilise pas ce mot » : c’est ce que répond une des femmes interviewées lorsque le documentariste demande l’équivalent du mot « policier » ; de même pour « Dieu ». Ce qui est montré ici, c’est ce choc de civilisation, par le langage, que les colons n’ont pas réussi à coloniser complètement. Ces mots n’ont aucun sens pour eux, car ce sont les autres qui leur donnent un sens. Ces contrastes entre eux et les autres s’introduisent donc parfaitement dans la construction « double » du film.


La construction, justement est tout aussi primordiale. Composé de témoignages comme d’images d’archives mystérieuses tout en suivant le mythe du bouton de nacre, le film part de cette goutte d’eau fossilisée dans du quartz pour arriver au déroulement et à l’enroulement (à la fin) d’une carte du Chili de quinze mètres, réalisée par Emma Malig, que le réalisateur décrit comme « un animal préhistorique de couleur ocre », en étant passé par toutes sortes de séquences plutôt bien filmées. Pourtant, les trente premières minutes du film sont décousues : c’est parfois compliquer de comprendre quand le réalisateur passe de la géographie du Chili, à l’évocation des peuples de Patagonie puis à l’histoire de ce petit bouton. Or, le film est réellement un récit et pas une tentative de reconstruction historique (si c’était le cas, elle serait vaine) ; ce qui peut parfois déplaire lorsqu’on est plongé dans un film métaphorique où rentre en jeu l’eau et le cosmos alors qu’on ne sait rien de l’histoire du Chili. Le désavantage de ce film, c’est qu’il nécessite une connaissance de base que tout le monde n’a pas forcément. De plus, le réalisateur a ce défaut de rester dans le même registre et dans le même dispositif technique que pour Nostalgie de la lumière, qui fut acclamé par la critique. Il y a ce point négatif du « repos sur lauriers », ou du moins des choses qui reprennent trop le modèle de la rencontre poétique entre l’infiniment grand et notre condition humaine fragile, déjà établi dans Nostalgie de la lumière. Ce qui déplaît, c’est cette sensation d’envie de répéter une recette qui a marché dans un contexte qui était totalement autre.


Pourtant, on ne peut nier l’efficacité finale et à retardement du film. On ne sort pas bouleversés jusqu’à dire qu’il s’agisse d’un grand chef d’œuvre, mais c’est en réfléchissant après coup que l’on trouve au documentaire ses qualités, car à la sortie de la salle, on a l’impression d’avoir vu un film sans grand intérêt. Mais c’est ce que veut Patricio Guzmán : « j’ai voulu éloigner le documentaire des moyens conventionnels afin d’obtenir un instrument narratif d’une grande richesse qui suscite la réflexion chez les spectateurs ». Alors un documentaire d’une grande richesse, pas forcément, mais c’est clair qu’il suscite la réflexion, sur les peuples et le pays qu’il présente de même que sur ce génocide méconnu. Ce qui manque également au film, c’est qu’il est contrasté mais pas nuancé. On est toujours dans cette sorte de montage, de récit alterné mais sans trop de vigueur et de dynamisme. Il manque quelque chose au final… Peut-être un point de vue auquel le réalisateur aurait pu se confronter davantage, afin de donner un autre intérêt, un autre enjeu au film.


Le Bouton de nacre est loin d’être dénué d’idées métaphoriques, poétiques, psychanalytiques et culturelles. Sa beauté tout aussi poétique avec son excellente photographie, peut, à elle seule, nous faire tendre vers la réflexion. Pourtant, quelques raccourcis historiques gênants et une facilité de mise en scène car déjà vue, rendent ce film davantage bon qu’excellent. Il lui manque quelque chose ; ce quelque chose qui aurait finalement eu le mérite de vraiment finir le film.

Piputyy
6
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le 6 sept. 2016

Critique lue 412 fois

Jules Cales

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