L’eau et les trêves
Deuxième volet d’une trilogie consacrée au Chili après Nostalgie de la Lumière, Le bouton de Nacre en reprend les grands principes : mêler l’observation de l’immensité naturelle à l’Histoire...
le 17 nov. 2020
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Le documentariste Patricio Guzmán nous raconte l’histoire géographique et humaine de son pays, le Chili, en prenant comme point de départ ses relations avec l’eau. Cette réflexion puise son origine dans son précédent documentaire, Nostalgie de la lumière, où le cinéaste confrontait la recherche des astronomes du VLT (Very Large Telescope) dans le désert d’Atacama avec la quête des familles de victimes de la dictature de Pinochet pour retrouver les restes des disparus dans ce même désert. On nous y apprenait que regarder les plus lointaines étoiles dans l’Univers, c’était voir le passé. Les scientifiques levaient alors les yeux vers le ciel le plus pur, alors que les familles de victimes foulaient un sol ensanglanté. Tous étaient à la recherche d’une lumière désormais disparue.
Acclamé unanimement par la presse et le public, Nostalgie de la lumière était la rencontre poétique entre l’infiniment grand et notre condition humaine, fragile et tragique. LE BOUTON DE NACRE reprend le même dispositif filmique en proposant de raconter l’histoire du Chili au travers du regard des amérindiens, autochtones de la Patagonie (extrême sud du pays). Le Chili partage sa plus grande frontière naturelle avec l’Océan Pacifique, pourtant les colons ne sont jamais devenus véritablement de grands marins. Au contraire des amérindiens qui pouvaient voyager sur d’immenses distances dans de frêles embarcations.
Peu d’habitants originels de la Patagonie subsistent aujourd’hui. Le film essaye alors de recomposer un paysage impressionniste à partir des témoignages des quelques personnes encore vivantes, d’archives photos mystérieuses et d’une anecdote qui a traversé le temps depuis la première rencontre avec les colons : celle du bouton de nacre.
La première partie du BOUTON DE NACRE est assez décousue, il est parfois compliqué de passer de la géographie du Chili, à l’évocation des peuples premiers en passant par l’histoire de ce simple bouton. Patricio Guzmán est doté d’un admirable « esprit d’escalier » qui déroute autant qu’il fascine. Notre implication dans le déroulement du film doit énormément à la beauté majestueuse des étoiles, comètes, lacs gelés et vues du ciel, mais surtout à la propre voix de Patricio Guzmán qui fait preuve d’un grand talent de conteur.
Il faut accepter de se laisser porter pour entrer pleinement dans le film. En le prenant comme le récit d’un mythe et non une tentative de reconstitution historique, on savoure davantage cette balade contemplative.
Cependant, par rapport à Nostalgie de la lumière le dispositif documentaire s’est érodé. On sent parfois l’envie de répéter une recette qui a marché dans un contexte différent. L’obsession de ramener l’histoire des autochtones du Chili à la voûte céleste n’est pas toujours légitimée. De même pour évoquer une fois de plus la dictature de Pinochet.
Ce qui chagrine le plus, c’est de ne pas entendre davantage les derniers survivants de la culture autochtone s’exprimer. D’un côté on sent très fortement que Patricio Guzmán a tissé un lien privilégié avec ces personnes. De l’autre, leur parole est fragmentaire, reléguée à une place secondaire par rapport à sa propre narration en voix-off. Ce dispositif marchait très bien pour Nostalgie de la lumière car l’auteur invoquait des disparus. Ici, il oublie un peu vite que des membres de cette culture autochtone (même peu nombreux et vieillissants) devraient être au centre de son récit, plutôt que de le ramener à lui-même ou à l’épisode totalitaire du Chili.
LE BOUTON DE NACRE de Patricio Guzmán pêche ainsi par certains côtés comme Nous venons en amis de Hubert Sauper. Le documentariste endosse la culpabilité de la civilisation occidentale et de ses crimes envers les peuples qu’elle a colonisés. Cette démarche semble tellement lui peser, qu’il passe plus de temps désormais à nous expliquer en quoi et pourquoi nous sommes coupables, plutôt qu’à donner l’occasion aux victimes de cette même civilisation de s’exprimer. Le résultat paradoxal est qu’en prétendant parler en leur nom, le documentariste leur confisque la parole, et réactive en même temps la violence symbolique qu’il prétendait dénoncer.
Ce biais est moins flagrant chez Patricio Guzmán que chez Hubert Sauper, car le premier prend soin de ménager quelques espaces d’expression aux autochtones. Ces moments sont très simples, mais on s’en souvient pourtant beaucoup plus que les magnifiques plans de nature et du cosmos qui peuplent la grande partie du film.
En recourant au mythe, Patricio Guzmán réussit une nouvelle fois à connecter plusieurs dimensions de l’existence, mais il succombe parfois à des facilités poétiques qui l’éloignent de son parti-pris originel : raconter l’histoire du Chili du point de vue des amérindiens.
Le voyage bercé par la voix du réalisateur est agréable. Au regard de son précédent film, difficile toutefois de garantir qu’on en ressorte véritablement bouleversé.
Créée
le 3 nov. 2015
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