Adaptation d’un best-seller de Tom Wolfe (1987), Le Bûcher des Vanités (1991) est un film théâtral et ambigu. D’abord poussif et grossier, il gagne en intérêt au fur et à mesure tout en laissant transparaître clairement sa nature. Sauf via Phantom of the Paradise et Outrages, De Palma s’est alors rarement investi à un niveau idéologique, politique ou philosophique (il semble peu concerné par ce qu’induit son Scarface). Il s’est aussi rarement autant amusé à donner dans le mauvais goût et flirter avec la vulgarité téléfilmique : Le Bûcher contient ainsi des passages au cheap inhabituel.


Fidèle au matériau original qui a sans doute flatté son propre cynisme, De Palma fait le portrait d’un New York hypocrite et mesquin, peuplé d’arrivistes et de voyous ordinaires du haut en bas de la chaîne alimentaire (Annie, la mère de la victime, subitement consolée par la perspective des 10 millions de $ de dommages et intérêts élevés se promettant à elle). Un journaliste minable en bénéficie : Peter Fallow (Bruce Willis), déjà tenu pour écrivain grâce à son livre sur une affaire gigantesque lancée par un de ses articles. Il était une fois Sherman MacCoy (Tom Hanks), courtier ultra-riche, victime du système et présenté comme une enflure finale au grand-public afin de garantir l’équilibre et protéger les vrais salauds. Peter Fallow s’est contenté de présenter son implication dans une obscure ratonnade ; les politiciens, les médias et la Justice vont faire de lui leur bouc-émissaire.


L’attention de Brian De Palma est tournée sur cet aspect et sur la descente aux enfers de Tom Hanks en premier lieu ; l’auteur de l’article occupe une place très secondaire, reflétant sa position de minable passant opportuniste bientôt précipité à l’avant-scène. À l’heure où les élections approchent, il faut une affaire avec un blanc afin d’amadouer la population du Bronx et les médias, devenir ‘politically correct’. Ce bourgeois blanc est le meilleur atout pour montrer que la justice est la même pour tous, bien que dans le tribunal de Freeman, l’ensemble des jugements concernent des noirs. De nombreux réseaux de pouvoirs tirent profit de la situation, y compris un pasteur noir très influent, toujours disposé à composer avec ses adversaires supposés à l’abri des regards.


De Palma voulu faire un film avec un discours social franc et prendre position ; si son regard est clair, l’engagement cependant est intuitif plutôt qu’idéologique ou même concret. Il n’attaque rien ni personne en particulier, mais plutôt l’harmonie de la société américaine à laquelle ne croiraient que les hypocrites ou les individus épargnés. C’est un discours fort qui peut être facilement dupliqué, autour duquel le réalisateur est en proie à quelques turpitudes. Son propos est souvent très appuyé, certains points du scénario peu réfléchis. Les qualités sont plutôt du côté de la synthèse et du casting extrêmement hétéroclite : entre Freeman, Willis, Hanks, Melanie Griffith et les autres, c’est un peu le choc des mondes, chacun étant confortablement installé dans un rôle de prédilection chamboulé par la tempête que constitue cette affaire et l’approche dissipée de De Palma.


Entre l’ironie rigolarde et le flegme virtuose, Le Bûcher des Vanités singe la tragédie, singe le lyrisme ou la grandiloquence : celui de la chute, celui de la rémission, celui des postures politiques diverses. Il nous met avec force dans la position de Sherman MacCoy et ainsi impliqués nous éprouvons un sentiment d’injustice d’autant plus éprouvant qu’il est impossible de se justifier. En effet, Sherman n’est pas un pur innocent ; mais pour autant, il n’a pas si mal agi, il n’a jamais été mauvais ni hostile dans ses actions directes. De Palma sait faire vivre sa solitude ; il sait aussi faire de son sujet une farce incisive. Ainsi le spectacle s’achève sur un pur trollage, avec le discours ridicule de Morgan Freeman sur l’honnêteté : « rentrez chez vous et vivez honnêtement » ; pendant que nous faisons nos affaires ? Enfin Willis, au personnage insupportable, au jeu complaisant et pénible, interrompt son laïus sur la pureté de l’âme, car effectivement, les bénéfices valent bien une mise aux enchères.


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Zogarok

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