Chemins de traverse

Voilà ce que nous pourrions appeler une véritable proposition de cinéma, un de ces films capables de transporter son audience tout en la laissant de temps à autre sur le bord de la route ; un film délibérément sec, quasiment hypothétique dans sa réalité cinématographique, sorte d'énorme conjecture fictive proférée par Marguerite Duras et son comédien Gérard Depardieu. Cette étude portant le titre indicatif Le Camion possède un charme plutôt étonnant de la part de l'écrivaine, qui parvient via un dispositif scénique modique à nous promener dans une abstraction formelle fidèle à son style lapidaire, sa légendaire "écriture blanche".

Le Camion nous présente deux personnages ( un chauffeur et une jeune femme ) et la cabine d'un Saviem, lieu clos de leur rencontre et de leur relation platonique. Duras et Depardieu, lecteurs, narrateurs et uniques acteurs physiques du métrage, fabrique d'une certaine façon le script de ce film imagé, imaginé au fur et à mesure du dialogue entretenu ; l'ensemble est très joliment photographié par le grand Bruno Nuytten et ponctué de variations de Beethoven jouées en mode forte. La diction et le style durassien, typiques et très rapidement identifiables, demeurent à la fois lourds et captivants, trouvant certainement davantage d'efficacité dans l'oralité que sur le papier. Quant à Gérard Depardieu il semble plutôt amusé de cette lecture interactive, jouant pudiquement son rôle d'interlocuteur ignorant et curieux de tout.

L'ensemble reste tout de même très plombant malgré l'intérêt certain du concept, comme si la neutralité des registres annihilait partiellement le potentiel créatif du film. Atone, aride et un brin hermétique Le Camion possède au moins l'immense mérite d'exister pour lui-même et pour tout un pan de théoriciens du cinéma : puisque - comme le disait le célèbre Paul Klee - "L'Art ne reproduit pas le visible, il rend visible". Un objet aussi difficile que salutaire.